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Sans prétendre refaire avec lord Brougham l’histoire de la constitution anglaise depuis les temps des Anglo-Saxons jusqu’à la grande révolte des barons sous Jean sans Terre et à la concession de la grande charte, sans accepter la théorie de ceux qui prétendent que le système représentatif a toujours existé en Angleterre sous une forme ou sous une autre, on ne peut s’empêcher de reconnaître que les grands propriétaires fonciers, c’est-à-dire les barons, ont eu à toutes les époques une grande part dans le pouvoir législatif, ou en d’autres termes dans le pouvoir suprême de l’état, et que l’aristocratie, pour soutenir ses longues luttes contre la royauté, fut obligée de se concilier le peuple et de s’assurer de son concours dans les guerres civiles. Aussi fit-elle à ses propres vassaux des concessions analogues à celles qu’elle réclamait du roi pour elle-même.

Au milieu des luttes et des désordres qui remplirent les premiers temps de l’histoire d’Angleterre, ce qui frappe d’abord, c’est la bassesse et la servilité des parlemens pendant les guerres des Plantagenets et des York, et surtout pendant la tyrannique domination des Tudors. De l’étude de cette partie de l’histoire au point de vue représentatif, on peut, avec lord Brougham, tirer ce principe, que le degré de tyrannie des chefs ou de la liberté des sujets dépend bien plus de la manière dont le peuple et ses guides se conduisent et tirent parti de leur constitution que de la forme de cette constitution elle-même ; on peut aussi s’indigner avec le noble historien de l’abaissement de « ces honteux parlemens ; » mais d’autres pourraient se montrer moins sévères, car enfin, malgré leurs faiblesses, ces parlemens méritent quelque reconnaissance pour avoir su ne se laisser jamais détruire et conserver intact et inviolable un lambeau de droit et de liberté, qui dans la suite a pu servir de point de départ et d’origine à la grandeur politique de l’Angleterre. Au reste, parmi les causes de ce long asservissement des parlemens, une des principales fut cette méfiance mutuelle que les hommes s’inspirent les uns aux autres alors qu’il faut risquer sa fortune ou sa vie pour donner le premier élan à la résistance contre l’oppression ; c’est ce sentiment de la crainte de n’être ni soutenu ni suivi par ses concitoyens qui fait la principale force des gouvernemens établis par la violence ; c’est ce qui permit aux triumvirs de la France en 1793 de dominer la convention et le pays pendant deux longues années de crimes et de souffrances, et ce qui explique aussi la tyrannie de la chambre étoilée, qui n’aurait jamais pu tenir contre une législature unie et courageuse.

Avec la dynastie des Stuarts commence et finit la lutte décisive du despotisme et de la liberté, lutte terrible qui, comme il arrive d’ordinaire, emporta les différens partis bien plus loin qu’aucun