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sont pris par les fils de l’aristocratie, et dans beaucoup de cas la possession ou l’acquisition d’un domaine donne droit à la nomination d’un ou plusieurs vicaires et curés, et à la distribution de certains bénéfices.

L’alliance intime et absolue du pouvoir et de la richesse, et l’agglomération de cette richesse une fois reconnues, n’en faut-il pas conclure que la plus évidente unité est la base du gouvernement anglais, concentré héréditairement par le droit d’aînesse dans les mains de trente ou quarante mille familles, les plus riches du pays, qui, choisissant les premiers talens parmi elles, ou attirant les hommes nouveaux de grande valeur, leur confient le gouvernement, les soutiennent et les défendent avec une sagacité et une énergie traditionnelles qui s’expliquent facilement, car, pour cette aristocratie, toutes les affaires de l’état, grandes ou petites, sont presque des affaires de famille ? C’est ce qui lui donne cette clairvoyance pratique qui ne se laisse surprendre ni par les entraînemens de la logique, ni par ceux de cet esprit de généralisation, dont l’abus fut parfois si funeste parmi nous. Au reste, une des raisons qui font paraître cette aristocratie si habile, c’est qu’elle est assez solidement constituée pour pouvoir, en cas d’erreur, revenir sur ses pas ou pousser en avant et marcher toujours à la tête de ses propres concessions.

Dans l’histoire de la révolution de 1688 en Angleterre, lord Macaulay, à propos de l’acte de tolérance dont il loue l’habileté, l’opportunité, mais dont il expose les contradictions flagrantes, insiste en des pages remarquables sur le dédain des Anglais pour les idées abstraites et spéculatives en politique, dédain, ajoute-t-il, qui, depuis le roi Jean jusqu’à la reine Victoria, a successivement animé l’esprit de deux cent cinquante parlemens, lesquels se sont guidés par la seule convenance et l’intérêt pressant du moment, sans aucun souci des inconséquences où ils sont tombés plus d’une fois. La force et l’habileté de ce gouvernement, exercé par la famille et par la propriété, n’ont guère laissé de place au développement de l’influence royale. Les rois ont pu avoir, selon leur valeur personnelle, une plus ou moins grande part dans les affaires, mais jamais une véritable prépondérance, et cette chimérique formule de la division égale des pouvoirs, qu’on a crue réalisée en Angleterre sous le manteau du gouvernement parlementaire ou représentatif, n’a jamais réellement existé. On pourrait dire que la chambre des lords, celle des communes, l’armée, l’administration et le clergé sont comme les cinq doigts de la main d’une aristocratie peu nombreuse, qui par la concentration héréditaire de toutes les richesses et de tous les pouvoirs, et par un sens profond de l’art de gouverner, a su, depuis