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deux cents ans surtout, maîtriser et dominer à la fois avec une inflexible énergie la royauté au-dessus d’elle et le peuple au-dessous.

Depuis 1831 et 1832, l’influence prépondérante a passé de la chambre des lords à celle des communes, dont la composition a été modifiée par l’entrée d’un grand nombre de représentans de l’intérêt commercial et manufacturier. À cet égard, un nouvel ordre de choses semble se préparer de loin ; mais l’ordre ancien n’en subsiste pas moins encore dans tout son ensemble, car parmi les hommes nouveaux qui ont pris place à la tête du pays, il en est bien peu qui ne jouissent pas d’un revenu suffisant pour constituer une complète indépendance de fortune.

La forteresse et la garantie connue de toute cette antique organisation, c’est le droit d’aînesse, sur lequel sont établies l’agglomération et l’assiette de la propriété, et qui a pour effet de ne placer jamais le privilège et l’autorité en dehors de la puissance substantielle que donnent la fortune et la possession du sol. Que l’on condamne ou que l’on défende le droit d’aînesse, parmi ses avantages il en est un dont on ne saurait contester les heureux résultats pour la Grande-Bretagne : c’est l’existence utile de ces innombrables cadets de bonne maison pour qui la noblesse et les titres sont annulés dès la première ou la deuxième génération. Ce sont les cadets de l’Angleterre qui lui ont conquis le monde en le fouillant et le parcourant en tous sens, pour y acquérir la richesse ou l’aisance, et qui ont assuré sa force intérieure en répandant dans la masse de la nation où ils vont se confondre cet esprit de respect et de dévouement pour l’ordre social et politique de leur pays, qui est chez eux si remarquable. Soutiens de cette aristocratie qui n’est point une caste, où l’on entre quand on est puissant ou célèbre, et d’où l’on sort bientôt quand on n’a pas pour soi le hasard de la primogéniture, ou le talent personnel, les cadets sont élevés dans les somptueux manoirs de leurs parens absolument avec les mêmes soins que leurs frères aînés, futurs propriétaires de l’héritage paternel, et partagent les sentimens aristocratiques et le sens profond des saines conditions du gouvernement et de l’ordre qui distinguent les classes supérieures de la nation. Ce sont les cadets qui s’en vont remplir toutes les places de l’administration, de l’armée, de la marine, des colonies, de la magistrature, ou parfois aussi du haut commerce, de la banque et des entreprises coloniales, avec les mêmes mœurs, le même esprit, la même distinction de manières ou le même orgueil que les chefs de famille restés à la tête du pays. C’est ce qui explique cette similitude de goûts, d’antipathies, cette unité dans la foi politique et sociale qui du sommet de la société anglaise descend d’échelons en échelons jusqu’aux couches inférieures.