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s’y reposer un instant, de célébrer avec pompe cet événement, et, afin que le public n’en ignore, de relater les circonstances qui s’y rapportent sur une immense plaque de marbre exposée en lieu apparent. L’aubergiste de San-Vincenzo n’avait eu garde de manquer à cette coutume. Il est seulement probable qu’à cette heure la plaque a été enlevée et prudemment reléguée au grenier.

J’étais en train de déchiffrer péniblement cette inscription lapidaire, d’un style des plus obscurs, quand Gamba Corta, tout guilleret, vint me prévenir qu’il était à mes ordres. Je montai en voiture, et nous continuâmes notre route. Aux allures rapides que nous prîmes dès le début, je n’eus pas de peine à reconnaître les bons effets du picotin et du bicchierino. À peine avions-nous parcouru un mille, allant ce train de poste, que Gamba Corta, se retournant vers moi, me montrait sur une butte élevée une autre ville et un autre château : c’était Campiglia. En Livournais bien appris, qui connaît ses proverbes, il me jeta par la portière le dicton qu’on a fait sur cette localité :

Il pian di Campiglia,
T’ingrassa, ti piglia ;


ce qui, traduit en bon français, signifie que la plaine de Campiglia vous engraisse et vous tue, en d’autres termes qu’on y prend ces fièvres intermittentes des maremmes sous l’effet desquelles à la longue la chair se gonfle par l’appauvrissement du sang et la prédominance de la lymphe, maladie incurable qui vous conduit peu à peu au tombeau.

La Maremme toscane, au milieu de laquelle nous nous trouvions, commence, à proprement parler, à partir de la Cecina. Une végétation et un relief du sol particuliers caractérisent cette région de l’Étrurie. Le terrain est d’abord en plaine, puis légèrement ondulé. Il se termine par une rangée de collines et de montagnes élevées, presque partout couvertes de maquis, ainsi nommés de l’italien macchie. Ce sont des bois de bruyères, d’arbousiers et autres taillis, auxquels se mêlent diverses variétés de chênes, notamment le chêne vert. Parfois se montre aussi le chêne blanc, dont la dénomination toscane de rovere est calquée sur le latin robur. Des lièvres et des lapins sauvages, des perdrix, des merles et des grives, enfin des sangliers en assez grand nombre, vivent dans les maquis. Quelques vipères à la morsure venimeuse et quelques tarentules sont les seuls hôtes malfaisans de ces bois. Sur le rivage règne une sorte de cordon littoral formé par l’accumulation des sables. La dune s’avance, insensiblement ; poussée par les vents du large. Devant elle s’étendent des marais aux eaux basses, stagnantes et délétères. Il s’en dégage