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du lieu, le chevalier Desiderii de Pise, était absent ; mais le majordome me reçut avec autant d’amabilité que son maître aurait pu le faire. Il indiqua la remise au voiturin, et après un instant de repos il me proposa d’aller jouir du coucher du soleil sur la terrasse du château.

Comme nous passions dans le jardin, il me montra un boulet qui était venu s’y perdre en 1812, lancé par une frégate anglaise. Du balcon du château, on dominait la mer, et la vue s’étendait au loin. Sur le premier plan, on distinguait l’île d’Elbe, et auprès d’elle, comme deux, fidèles satellites, Palmaiola et Cerboli. La Pianosa, aux terres basses, apparaissait sur l’eau comme une ombre indécise. On embrassait d’un seul coup d’œil presque toutes les îles qui composent l’archipel toscan. Sur le dernier plan se dressait, comme une forme vague, l’île de Corse, dont les pitons élevés se détachaient plus nettement, colorés des derniers feux du jour. Le soleil venait de disparaître ; mais quelques nuages, qui s’étaient tout à coup formés à l’horizon, lui empruntaient leur teinte vive et rougeâtre. Sur la terre ferme, la ville de Piombino, voisine de Populonia, restait entièrement masquée par les montagnes du littoral. On avait peine à apercevoir le port et quelques navires au mouillage. Les bateaux pêcheurs avaient laissé tomber leurs voiles et regagnaient le rivage à la rame. La mer était calme, aucune ride ne se formait à sa surface, et une douce brise parfumait et rafraîchissait l’air. Tout entier à ce grand spectacle, je me reportais par la pensée aux temps de l’ancienne Étrurie. Je voyais les trirèmes quittant la rade de Populonia et sillonnant la mer Tyrrhénienne. Les unes voguaient vers l’île d’Elbe pour y porter des vivres et embarquer le minerai de fer ; d’autres, plus hardies, s’avançaient vers la haute mer, et allaient échanger les produits de l’Étrurie du centre contre ceux de l’Étrurie du nord. Dans ces parages éloignés florissait Luna, riche en métaux comme Populonia, et produisant l’argent, tandis que celle-ci fondait le fer. Luna avait en effet pour armes un croissant, l’emblème de Diane, à qui était dédié l’argent. Les relations de Populonia avec l’Étrurie du sud avaient dû être non moins fréquentes, et le commerce des Étrusques dans la mer Tyrrhénienne avait sans doute présenté autant d’activité que celui des Phéniciens le long des rivages de l’Égypte et de la Syrie.

Pendant que j’étais plongé dans ces réflexions, et que je comparais avec tristesse la décadence du présent avec la grandeur du passé, la cloche du dîner sonna. Le majordome avait amené un nouveau convive, et le curé du village vint prendre part au repas. Le festin fut des plus gais, et, comme on le pense, la conversation roula tout entière sur les Étrusques. Le curé, en sa qualité de latiniste, cita