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des hommes y marchait de pair avec le perfectionnement des armes. La théorie était rectifiée, simplifiée ; la charge simultanée, due à l’esprit inventif du lieutenant de vaisseau, aujourd’hui amiral, Labrousse, passait dans la pratique sous le patronage de l’amiral Lalande, ainsi que beaucoup d’autres améliorations de détail qui contribuaient toutes à assurer dans des proportions inconnues jusqu’alors la rapidité et l’exactitude du tir. La capitulation de Saint-Jean d’Ulloa venait de prouver que tous ces changemens soutenaient avantageusement l’épreuve des faits. En trois heures et demie de combat, une corvette, deux bombardes et trois frégates, présentant à l’ennemi un front de 96 bouches à feu et lançant dans cet espace de temps 302 bombes, 177 obus et 777 boulets, avaient réduit une forteresse qui montrait 186 pièces en batterie, et qui passait pour inexpugnable[1]. À cette occasion, le duc de Wellington disait à la chambre des lords que « la prise de la forteresse de Saint-Jean-d’Ulloa par une division de frégates françaises était le seul exemple qu’il connût d’une place régulièrement fortifiée, prise par une force purement navale. »

Au reste nous avons par devers nous une preuve qui me semble beaucoup plus convaincante encore du mérite de tous les changemens que nous avions introduits dans l’armement de nos vaisseaux : c’est qu’à la fin, le bon sens pratique des Anglais l’emportant sur leur orgueil, ils s’étaient résignés à faire ce qu’ils avaient déjà fait depuis longtemps pour les canons Paixhans, c’est-à-dire à imiter sur leurs vaisseaux beaucoup des choses qu’ils avaient vues sur. les nôtres. Au mois de juillet 1853, ayant fait le voyage de Portsmouth pour assister à la revue que la reine allait passer de la flotte de la Manche, j’obtins de l’obligeance de l’amiral Corry, qui même voulut bien me faire accompagner par un de ses officiers, la permission

  1. C’était, sans tenir compte des mortiers, un tir moyen de plus de deux coups par pièce engagée et par cinq minutes, même en y comprenant les intervalles de temps pendant lesquels l’amiral Charles Baudin fit suspendre le feu pour laisser la fumée se dissiper afin de rectifier le pointage. Avec nos canons rayés à chargement par la culasse, nous sommes arrivés aujourd’hui à une moyenne de trente-huit secondes par coup tiré ; mais pour l’époque c’était un résultat très considérable, d’autant plus que ce tir si rapide s’exécuta sans donner lieu, comme dit le rapport, au plus léger accident. L’effet du tir ne fut pas moins remarquable que sa rapidité. Il produisit dans la forteresse quatre explosions de magasins à poudre, dont l’une fit sauter le cavalier du bastion de Saint-Crispin. Une tradition constante dans la marine attribue l’explosion de ce cavalier à un obus parti de la corvette la Créole, que commandait alors M. le prince de Joinville, ayant pour second M. l’amiral Romain-Desfossés. Le combat avait commencé vers deux heures et demie, et lorsqu’il se termina vers six heures, les bombardes continuant seules à lancer encore quelques bombes dans la forteresse, celle-ci ne tirait plus que d’un petit nombre de pièces. Au commencement de l’action, elle en avait cent quatre-vingt-six en batterie. Voyez le rapport de l’amiral Baudin, a qui revient le principal honneur de cette journée.