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firent comprendre que l’attention des ministres étrangers était éveillée sur ces manœuvres. J’ai cité textuellement les deux missives de Ki-yng pour indiquer quel était le ton général de sa correspondance ; de nombreuses lettres s’échangèrent, de fréquens pourparlers eurent lieu avant qu’on tombât d’accord sur la rédaction de la pétition à l’empereur. Ki-yng écrivait et parlait avec facilité. Son style et sa conversation respiraient habituellement l’affabilité et la bonhomie ; quelquefois aussi ils trahissaient l’anxiété qui agitait l’âme du négociateur. La responsabilité assumée par les plénipotentiaires chinois était en effet très lourde ; un certain temps devait s’écouler avant l’arrivée des réponses de Pékin. Une fois la pétition approuvée, la signature de l’empereur déchargeait son représentant ; mais si dans l’intervalle le parti hostile aux étrangers, déjà très puissant à Pékin et surexcité par l’éventualité d’un échec si considérable pour lui, venait à reprendre le dessus, l’initiative hardie du signataire de la pétition pouvait lui coûter la vie.

Du côté de la France, Ki-yng n’était pas non plus débarrassé de tout souci : à plusieurs reprises, on avait cherché à semer la discorde entre lui et M. de Lagrené, dont l’attitude si ferme et si énergique avait donné lieu à beaucoup, d’inimitiés et de jalousies. On avait fait venir de Paris, traduit et montré au commissaire impérial un de nos journaux de l’opposition où la conduite de M. de Lagrené était blâmée de tous points. Ki-yng, peu habitué au mécanisme des institutions représentatives et aux exagérations de la presse, en avait conclu que le, désaveu du ministre français était à prévoir. Il se demanda avec inquiétude ce qu’allait devenir leur œuvre commune, et il commençait à regretter de s’être si gravement avancé. Un refroidissement visible s’ensuivit dans ses relations avec M. de Lagrené. Les formules même employées habituellement dans ses lettres firent place à d’autres expressions qui paraissaient indiquer le désir de se renfermer dans les bornes strictes des convenances. Ce changement n’échappa point à M. de Lagrené, qui renvoya purement et simplement au commissaire impérial toutes les dépêches où ne figuraient point les formules usitées jusqu’alors dans leur correspondance. L’interprète de la mission était chargé d’expliquer verbalement les causes de ce renvoi, Ki-yng comprit qu’on l’avait induit en erreur, et qu’une démarche semblable n’était point de celles qu’on doit attendre d’un agent près d’être désavoué par son gouvernement. Il s’exécuta de bonne grâce en écrivant ce qui suit :


« Ki, en réponse. — Je viens de recevoir une dépêche de votre noble grandeur dont j’ai pris pleine et entière connaissance, ainsi que les différentes pièces qui doivent subir des modifications. La cause de cela consiste