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le geôlier et trouvé les clés de la cellule, un certain temps s’écoula. La porte ouverte, une fumée épaisse remplit tout le corridor ; le pauvre enfant venait d’expirer sur la paillasse à laquelle il avait mis lui-même le feu à l’aide de sa veilleuse. De sa lucarne, mon ami vit bientôt le corps brûlé que les soldats traînaient par les pieds dans le corridor. La tête frappait les dalles ; c’était un spectacle horrible. On dit qu’à cette nouvelle l’empereur Nicolas lui-même s’émut et ordonna de ne plus procéder avec les détenus politiques aussi rigoureusement que par le passé. Depuis cet événement, on laisse sans lumière tout détenu pour cause politique gravement compromis.

Siésiçki avait fait, je l’ai dit, le voyage de Sibérie à pied et par convoi. Arrivé à notre établissement, il fut d’abord astreint aux travaux les plus durs en compagnie des autres galériens ; mais quelques années après le garde forestier, ayant eu besoin d’un homme sûr et capable, l’attacha à son service, car à la qualité d’honnête homme Siésiçki joignait encore celle d’excellent chasseur. Sa vie alors changea tout à fait, et il fut sans contredit le plus heureux de nous tous ; il gardait les bois, en surveillait la coupe, et nous rapportait même de temps en temps du gibier. Il va sans dire que l’inspecteur et les employés avaient les primeurs de sa chasse pour la permission qu’ils lui accordaient de porter un fusil. Siésiçki s’absentait parfois des semaines entières, et nous eûmes l’occasion de nous en ressentir une fois surtout. Comme Bogdaszewski et moi nous restions toute la journée dans le bureau, lui seul pouvait surveiller notre maison. Eh bien ! on profita d’une de ses absences prolongées pour nous dévaliser ; on enfonça la porte, et on nous vola toute notre provision de blé et de thé. Le dommage nous fut très sensible.

Quelques compatriotes qui habitaient les environs comme simples déportés profitaient des jours de fête pour venir nous visiter ; ils pouvaient alors, avec la permission des autorités, faire des excursions à Ekaterininski-Zavod. Ils nous informaient du sort des autres exilés, et nous évoquions le souvenir de tant de milliers des nôtres morts sur cette terre d’expiation. Un grand événement dans notre existence monotone fut l’arrivée d’un prêtre catholique polonais. Le gouvernement russe permet à quatre de nos prêtres de parcourir toute la Sibérie, de visiter une fois par an chacun des établissemens où se trouvent des condamnés politiques, et de leur porter les secours de la religion. L’arrivée d’un de ces serviteurs de Dieu est annoncée dans chaque district quelques jours d’avance, pour que les fidèles aient le temps d’arriver des divers points. À son passage, le prêtre célèbre une messe, donne la sainte communion et bénit la tombe de ceux qui sont morts dans le courant de l’année. Le dévouement de ces quatre pauvres ecclésiastiques toujours en voyage, toujours en traîneau par les froids intenses de la Sibérie,