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Les scandales de la société en commandite ont-ils été toujours évités par les sociétés anonymes ? Laissant au lecteur le soin de répondre à cette question, constatons, avant d’exposer les autres conséquences de la doctrine du conseil d’état, que les difficultés que présente l’obtention du privilège résultant de la forme anonyme ont forcément conduit le pays à concentrer exclusivement la direction des affaires générales et des capitaux dans quelques mains. Il s’est formé ainsi une sorte de pouvoir centralisateur de toutes les entreprises, pouvoir avec lequel l’état lui-même a souvent été obligé d’entrer en accommodement. De là l’extrême variabilité des lois et règlemens sur les compagnies industrielles et financières, avec lesquels, depuis dix ans, on a sans cesse modifié le régime économique de la France.

Cependant ce qu’on a dit de l’esprit peut encore mieux s’appliquer à l’argent : le plus grand capitaliste du monde, c’est le public. Pour attirer sa confiance, pour qu’il se déchargeât sur des tiers du soin de faire lui-même valoir ses épargnes, il a fallu qu’on lui présentât des chances aléatoires séduisantes, que ses mœurs et ses opinions fussent transformées. Le souvenir des scandales amenés par les sociétés en commandite avait jeté un immense et général discrédit sur cette forme de l’association des capitaux, et ce n’est qu’à la suite d’un long entraînement que le public y a de nouveau participé. La forme anonyme étant considérée comme une sorte de privilège exclusif presque constamment accordé aux mêmes personnes signalées ainsi à la confiance générale, étant en outre débarrassée des apports, des parts bénéficiaires attribuées au gérant, — la forme anonyme avait été, à partir de ce qu’on appelle la reprise des affaires, celle qui avait eu l’universelle préférence. Cette faveur générale a peut-être conduit l’état lui-même à considérer la forme sociale anonyme comme devant être une exception, et dès lors elle est devenue complètement inaccessible à toutes les associations qui ne représentaient pas d’immenses agglomérations de capitaux.

L’impossibilité presque absolue de constituer les affaires en société anonyme, le refus aussi de reconnaître des apports, ont eu pour conséquence de donner à la société commanditaire par actions[1] cet excessif développement que la loi de 1856 a voulu arrêter. C’est donc la commandite par actions qui doit être seule mise en cause, et nous constatons que l’impossibilité de constituer l’association sous la forme anonyme, restée privilégiée, a poussé l’esprit d’entreprise dans la société commanditaire par actions. Ici de

  1. Nous laissons de côté la commandite ordinaire, la vraie forme peut-être de l’association commerciale, et que n’atteignent pas les critiques dirigées contre la commandite par actions.