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nouveaux dangers se sont révélés au législateur, et dès lors il a voulu introduire, dans nos codes une nouvelle forme d’association inspirée par les exemples récens de l’Angleterre ; mais peut-on regarder comme un véritable progrès cette introduction en France de la société à responsabilité limitée, si contraire à nos habitudes et à nos mœurs commerciales[1] ?

Puisque la société anonyme a toutes les faveurs de l’opinion et satisfait à toutes les conditions désirables, pourquoi, au lieu de refaire encore une loi sur les commandites, ne pas rendre cette forme anonyme, objet de tant de vœux, plus accessible, et dès lors habituelle et obligatoire pour les associations dont le capital dépasserait un certain chiffre ? D’où sont venus les excès de la commandite par actions ? De la faculté qu’on avait de lui faire atteindre des chiffres exorbitans. Ainsi on vous disait : Si vous avez besoin de 2 ou 3 millions, votre entreprise est impossible ; mais, si vous pouvez élever votre capital à 15, 20, ou 30 millions, ce capital sera trouvé dans quarante-huit heures. Tous les hommes qui ont été dans les affaires depuis dix ans ont entendu ce langage ; mais s’il y avait eu une limite imposée par la loi à ces fantastiques associations, si elles avaient été obligées de subir un examen et une enquête préalables, bien des faits déplorables n’auraient pu se produire. Vulgariser la société anonyme et limiter le capital de la société commanditaire par actions, voilà sans doute la meilleure des solutions. La grande question à vider pour que cette solution soit acceptée réside tout entière dans le principe des apports, pour lesquels on pourrait établir des règles fixes, et qui seraient de droit commun, comme cela se pratique en Espagne. Rien n’empêche que pour les sociétés existantes ce progrès ne soit actuellement réalisé, et que, pour les grandes compagnies industrielles

  1. Les conditions de l’association commanditaire en Angleterre étaient soumises à des limites extrêmement rigoureuses avant la loi qui est venue les modifier. Les associés étaient dans presque toutes ces associations, personnellement et solidairement responsables sur leurs personnes et sur leurs biens des actes de la société à la formation et à la gestion de laquelle ils avaient participé. Les Anglais viennent d’abandonner cette législation draconienne et l’ont remplacée par celle des sociétés à responsabilité limitée, c’est-à-dire dans lesquelles on n’est engagé, conformément aux stipulations de notre loi française, que jusqu’à concurrence du capital qu’on a souscrit et de la responsabilité qu’on a voulu prendre. La société à responsabilité limitée, dans laquelle on n’est responsable que d’une somme de 500 fr. par exemple, lorsqu’on n’a souscrit que 500 fr., a été importée de France en Angleterre ? mais, dans la réexportation que l’on veut en faire, on, ne procède pas avec toute la logique désirable. Ainsi on accepte comme un progrès la limitation de la responsabilité qui existe à la fois dans notre forme sociale anonyme et commanditaire ; mais en même temps on nous dote du principe de la responsabilité illimitée et personnelle des administrateurs de ces futures sociétés, principe que les Anglais viennent d’abandonner par la nouvelle législation que la France aurait à prendre pour modèle.