Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 39.djvu/741

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

réservée aussi cependant par la loi aux seuls agens de change. Sur la poursuite de la compagnie des agens de change, la coulisse a été légalement détruite, et la négociation des valeurs de toute espèce en dehors de la rente, des chemins de fer et des titres des grandes compagnies financières, est demeurée sans intermédiaires depuis cette disparition du marché libre. Or qu’en est-il résulté ? La disparition du marché libre a élargi le cercle des opérations confiées aux agens de change. La plupart d’entre eux ont des correspondans tout comme les banquiers dans les principales villes de France et de l’étranger, quelques-uns y ont même des représentans à poste fixe. Ainsi ils reçoivent et transmettent des ordres sur différentes places. Ces opérations constituent ce qu’on appelle en termes de banque des arbitrages, et elles se règlent au moyen de comptes-courans et de remises d’effets de commerce ; ce sont des opérations de banquier. Voilà donc les agens de change devenus commerçans, quoique, pour éluder la loi, ils fassent endosser les effets de commerce par un tiers, associé commanditaire dans la charge, en vertu d’une tolérance que les tribunaux ne veulent pas reconnaître[1].

Voilà donc, nous le répétons, les charges d’agent de change devenues des maisons de banque, c’est-à-dire conduites à opérer comme le faisaient les maisons qui composaient le marché libre[2], Il était évident que la destruction de ce marché et l’élévation du prix de leurs charges devaient entraîner les agens de change à dénaturer complètement la mission dont ils sont investis, et que, presque

  1. Il est une autre opération de commerce et de banque que beaucoup d’agens font journellement et qui constitue une grande portion de leurs bénéfices : c’est ce qu’on appelle le jeu des reports. Quand une valeur est offerte au comptant et demandée en même temps à terme, ils l’achètent de ceux qui l’offrent au comptant et la revendent immédiatement à ceux qui la demandent à terme avec une différence de prix qui représente un intérêt annuel quelquefois de 8, 10 et 15 pour 100. Puis, lorsque la situation inverse se rencontre et que la même valeur est offerte à terme et demandée au comptant, ils revendent au comptant et rachètent à terme. Ces opérations, qui ne sont autre chose que l’escompte et le réescompte appliqués à des titres négociables, ne peuvent être fructueuses que pour les agens de change agissant pour leur propre compte, parce que les particuliers qui voudraient les faire auraient deux courtages à payer, ce qui réduirait de 3 pour 100 leur bénéfice. Ces opérations sont très importantes, principalement pour les agens qui ont un grand fonds de caisse ; mais les agens de change.ne devraient pas avoir de fonds de caisse.
  2. La méconnaissance légale des associations formées pour l’exploitation des charges d’agens de change vient de donner lieu à la présentation d’une loi qui concéderait aux agens de change le droit de former une société commerciale. Cette loi ne remédie en rien malheureusement à la situation que l’exercice de privilèges insuffisans a faite aux deux ou trois millions d’individus détenteurs de 20 ou 25 milliards de valeurs mobilières, qui ne peuvent avoir d’autres agens et d’autres intermédiaires que les soixante officiers ministériels pour lesquels on témoigne une si grande sollicitude.