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Mlle Garait qu’on a fait débuter ce soir-là par le rôle de Rose, c’est une mauvaise écolière qu’on n’aurait pas dû produire en si bonne compagnie.

Monsigny, Sedaine et leur contemporain le peintre Greuze sont trois aimables esprits qui, avec des moyens très simples, ont su exprimer un des modes les plus touchans de la nature humaine et de l’art français. Nous sommes aujourd’hui bien autrement savans que ne l’étaient Monsigny et Sedaine qui savaient à peine la langue dont ils se servaient l’un et l’autre ; mais il est permis de se demander si les œuvres délicieuses qui sont dues à la collaboration de Scribe et de M. Auber auront la longévité séculaire de Rose et Colas et du Déserteur.

Le sujet du nouvel opéra en deux actes de M. Félicien David, Lalla-Roukh, est tiré d’un poème connu de Thomas Moore, ce petit homme, ce petit esprit, qui sera plus célèbre dans la postérité par le crime qu’il a commis en brûlant les mémoires de lord Byron, son ami, que par les vers musqués dont il a enivré les ladies de son temps. Un roi de Boukharie a demandé la main d’une princesse de Dehli. Cette princesse, qui se nomme Lalla-Roukh, se met en voyage, escortée par ses femmes et par des gardes que commande Baskir, un lettré de la cour du roi de Boukharie, qu’il n’a jamais vu, et qui est chargé cependant de la mission délicate de conduire la princesse à son maître. Pendant que la princesse traverse la plaine enchantée de Cachemire, suivie d’un cortège et d’un luxe oriental, elle rencontre un pauvre chanteur nomade qu’elle avait déjà entrevu, non sans une émotion secrète. Elle le revoit avec plaisir, elle se complaît si fort à lui entendre chanter aux étoiles du ciel ses peines secrètes, qu’elle finit par en être vivement touchée. Cela ne fait pas l’affaire de Baskir, qui doit remettre la princesse à son maître pure de tout autre désir que celui de lui appartenir ; mais Lalla-Roukh, qui a du caractère, se moque de la surveillance jalouse de Baskir, et, avec le secours de son amie et de sa suivante Mirza, elle voit souvent le chanteur Noureddin, qui la charme à tel point qu’elle veut le suivre et rompre son mariage avec le roi de Boukharie. Ces choses se passent dans la vallée embaumée de Cachemire, au milieu d’une verdure luxuriante où dansent les bayadères au clair de la lune et aux sons du tambourin. Après quelques incidens inventés tout exprès pour retarder la conclusion qu’on devine, on apprend que le pauvre chanteur Noureddin, qui a failli être empalé par l’ordre de Baskir, n’est autre que le roi de Boukharie lui-même. Il a voulu, l’imprudent, conquérir le cœur de sa fiancée et se faire aimer de la princesse Lalla-Roukh avant de posséder sa main. Cela lui a réussi, parce qu’il était poète et chanteur ; mais c’était une tentative bien téméraire. Tel est le conte des Mille et Une Nuits que MM. Michel Carré et Hippolyte Lucas ont ourdi d’un style correct, sans y mettre ni trop de malice ni trop de gaîté. C’est un canevas mollement dessiné pour la plus grande gloire du musicien délicat qui s’est révélé à la France, il y a une quinzaine d’années, par une composition délicieuse, le Désert. Depuis ce début éclatant, qui valut à M. Félicien David une réputation européenne, à notre avis un peu exagérée, ce charmant musicien a produit successivement, et à de longs intervalles, Christophe Colomb, une symphonie dramatique un peu dans le genre du Désert, une espèce d’oratorio, Moïse au Mont-Sinaï, qui n’a pas été accueilli avec la même faveur par le public. Au théâtre, M. Félicien David