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a donné la Perle du Brésil, opéra en trois actes, qui a été représenté dans le mois de novembre 1851, et un grand ouvrage en quatre actes, Herculanum, qui a été donné à l’Opéra le 4 mai 1859. Dans toutes ces œuvres, et dans quelques morceaux de musique instrumentale qu’il a fait entendre soit aux concerts du Conservatoire, soit ailleurs, M. Félicien David a fait preuve d’un talent délicat, d’une imagination douce et rêveuse qui se complaît à errer dans les régions sereines, loin des bruits tumultueux et des passions violentes. Bien que l’auteur ingénieux du Désert ait placé dans la Perle du Brésil, mais surtout dans Herculanum, un ou deux morceaux qui ne manquent pas de vigueur, tels que le chœur des chrétiens au second acte, et certaines phrases du duo entre Nicanor et Lilia, il est cependant vrai de dire que la force, la passion impétueuse, la gaîté, l’ironie et les divers stimulans du cœur humain n’ont jamais été exprimés dans la musique de M. Félicien David, qui est un poète élégiaque et non pas un compositeur dramatique. Telle est l’opinion que nous avons toujours émise ici sur l’auteur du Désert, qui le premier en France a traité avec bonheur et un succès incontestable le genre de la musique pittoresque, qui a tant préoccupé M. Berlioz. Est-il vrai, comme on le proclame de tous côtés, que la musique de Lalla-Roukh soit une révélation nouvelle du talent délicieux de M. Félicien David ? C’est ce que nous allons examiner.

Et d’abord l’ouverture n’a aucun caractère saillant ; elle ne vaut même pas l’ouverture de la Perle du Brésil, qui n’est pourtant pas bonne. Divisée en deux parties, elle commence par quelques bouffées de cor qui précèdent un andantino que chantent les instrumens à cordes, tempérés par des sordini, qui jouent un très grand rôle dans cette partition. Elle se termine par un mouvement rapide, qui n’ajoute pas beaucoup de prix à cette préface symphonique d’un rêve d’or. Le rideau se lève sur un paysage enchanté, où les hommes que commande Baskir, le guide et le gardien de la princesse chantent un chœur : — C’est ici le séjour des roses, qui est fort gracieux. Le thème de ce chœur, pour voix d’homme, est repris ensuite par les femmes qui suivent la princesse Lalla-Roukh. Cette seconde répétition du même motif est plus complète, et l’accompagnement surtout en est délicieux. La mélodie que chante la princesse en sortant de sa tente :

Sous le feuillage sombre,
Dans le silence et l’ombre,


est une phrase langoureuse et distinguée, une sorte de mélopée d’un contour un peu vague, et qui flotte à la surface de l’âme. Mlle Cicco chante cette mélodie suave avec beaucoup de goût et de sentiment. La princesse, après avoir exprimé ainsi la vague rêverie de son cœur de vierge, s’assied sur l’un des côtés de la scène, et pour la distraire on lui donne un divertissement. Des almées se mettent a simuler une action symbolique qu’accompagne un rhythme piquant, après avoir été annoncé par des soupirs délicieux de hautbois ; Ce rhythme, soutenu par des pulsations d’une pédale inférieure que frappe un tambour de basque, est enveloppé d’une harmonie susurrante, d’un bisbiglio amoroso de l’air ambiant au-dessus duquel la flûte s’égaie comme un oiseau qui s’ébat autour du nid qui l’a vu naître. C’est d’un effet délicieux, c’est le vague indéfini des airs arabes reproduit