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REVUE. — CHRONIQUE.

le premier en musique toute une partie délicate de la poésie moderne, d’avoir importé dans son pays l’impression étrange des chants arabes traduits par les procédés ingénieux de l’art européen. Voilà la véritable Originalité de M. Félicien David ; il est le créateur de la musique pittoresque et de genre qui n’existait pas avant lui en France. Il a exprimé ses souvenirs et ses impressions de voyageur dans une composition exquise, le Désert, qui lui a valu une grande et légitime réputation. Ce n’est pas un grand musicien que M. Félicien David, c’est une imagination rêveuse, un poète élégiaque qui rencontre des accens délicieux, une âme douce et indolente qui se complaît dans la contemplation de la nature heureuse, dont il sait rendre les soupirs et les mystérieuses harmonies. Considéré comme un rêve d’or, comme un conte enchanté des Mille et Une Nuits, le premier acte de Lallar-Roukh est un chef-d’œuvre.

P. Scudo.


ESSAIS ET NOTICES


UNE COLONIE MILITAIRE ANNAMITE.


La Basse-Cochinchine, dont nous essayons de faire une possession française, ne doit pas être jugée d’après les relations assez rares encore qui nous sont parvenues sur l’ensemble du royaume d’Annam. C’est un champ qui a été disputé bien souvent et ensanglanté par de nombreuses querelles. Les institutions qui, dans ces derniers temps encore, régissaient ce pays, semblent inspirées par une pensée commune : fixer et rassurer un peuple pauvre et nomade, porté au brigandage par le malheur des guerres étrangères et intestines ; et le tourner vers la culture de la terre. Elles sont appropriées aux aptitudes de la race annamite, et peuvent généralement recevoir l’empreinte de notre domination, sans que ce changement les altère au point de les faire disparaître, On en jugera par quelques détails qu’il nous a été donné de recueillir récemment sur les colonies militaires connues sous le nom de don-dien. Il y a là une création singulière dont on comprendra mieux encore l’importance, si l’on se rend bien compte du caractère des peuples soumis à cette double organisation militaire et agricole.

Les peuples de la Basse-Cochinchine sont laboureurs et mariniers, deux métiers qui s’excluent d’ordinaire, mais qui s’accordent dans ce pays à cause du retour des mois favorables pour la culture du riz et de ces arroyos qui circulent dans les rizières et qui ressemblent sur la carte à un rets qu’on aurait jeté sur la terre. Ils ne font qu’une récolte de riz, quoiqu’ils puissent en faire deux et même trois. Ils se soucient peu du commerce, où du reste ils sont malhabiles et toujours dupés par les Chinois, établis depuis longtemps en grand nombre dans l’Annam, et munis de chartes, de droits et d’exemptions de toute sorte. À ce penchant vers les travaux agricoles et la vie batelière se trouvent jointes chez les Annamites dès qualités qui annoncent une race guerrière.

La nation annamite a des traditions dont elle s’enorgueillit au milieu des