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lois traversent pour ainsi dire les deux règnes, et méritent le nom de lois générales du monde organisé.

Admettrons-nous en botanique les causes finales que nous avons proscrites en zoologie ? Imiterons-nous l’impertinence de ce roi d’Aragon qui prétendait qu’il eût donné de bons conseils à l’Être suprême, s’il avait été consulté au sujet de la création ? Dirons-nous : La feuille est faite pour respirer, le calice et la corolle pour protéger les étamines et le pistil ? ou, philosophes modestes, nous bornerons-nous à constater le rôle que ces organes jouent dans la nature sans préjuger le but du Créateur ? Ce parti est le plus sage et le plus logique. En effet, la feuille remplit, il est vrai, presque toujours le rôle des poumons chez les animaux : elle respire, mais souvent ses fonctions changent sans qu’elle cesse pour cela d’être feuille. Ainsi dans le pois et les gesses (lathyrus) elle se termine en vrille, et devient une main qui suspend la plante aux corps environnans. Dans les orobanches, elle existe, mais ne respire plus : elle n’en est pas moins une feuille pour cela. Que dire des stipules, petits organes placés à la base des feuilles dans un grand nombre de plantes, s’épanouissant en limbe foliacé dans les pois et les gesses, se transformant en vrilles dans les melons, les courges, la bryone ; et s’endurcissant en épines dans certains acacias de la Nouvelle-Hollande ? Leur nature fondamentale ne change pas, mais leurs fonctions varient. On affirme que le calice et la corolle sont les organes protecteurs des étamines et du pistil, qu’ils assurent la fécondation, parce que la pluie fait crever les grains de pollen à mesure qu’ils s’échappent de l’anthère, et amène ainsi l’avortement du fruit et de la graine ; mais d’abord un grand nombre de plantes sont dépourvues de corolle et même de calice. Ces enveloppes, lorsqu’elles existent, ne protègent pas toujours efficacement les étamines et le pistil contre la pluie. Je citerai les roses, les lis, les tulipes, les renoncules, les cistes, etc. Cette protection n’est réellement efficace que dans les campanules, où la fécondation s’opère avant que la corolle ne soit épanouie. Ce genre ne renferme que des plantes inutiles, et, par une antithèse difficile à comprendre, les végétaux les plus nécessaires à l’homme, ceux sur lesquels repose pour ainsi dire l’existence du genre humain, savoir les céréales, le riz, le maïs, la vigne, les arbres fruitiers, ont des fleurs dont les étamines ne sont nullement défendues contre les intempéries. Que de famines épargnées aux peuples des deux mondes, si les étamines des céréales eussent été protégées comme celles des inutiles campanules ! Combien de fois la vigne, les pommiers, les poiriers, les cerisiers, les pêchers eussent donné des fruits, au lieu de rester stériles !

L’expérience directe confirme les données fournies par l’observation.