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maquis. À ce bruit, les buffles noirs aux cornes recourbées, paissant en liberté dans la campagne, s’arrêtaient étonnés. Ouvrant leurs humides naseaux, ils dressaient une oreille attentive, tandis que de leur bouche entr’ouverte dégouttait la bave écumante. Cependant je ne tardai pas à rencontrer quelques ouvriers disséminés le long de la voie. C’étaient des terrassiers aquilani réparant les fossés et les talus du chemin endommagés par les dernières pluies. Ces rudes travailleurs, venus à pied de la province des Abruzzes, dont le chef-lieu est Aquila (ancien royaume de Naples), n’ont pas d’égaux dans leur métier en Italie. On ne saurait leur comparer en Europe que les terrassiers si renommés de la Belgique, qui ont été et sont encore occupés en France sur nombre de nos chemins de fer. Les Aquilani sont surtout employés en Toscane sur les grandes propriétés de la Maremme, où ils prennent part à l’entreprise des travaux d’irrigation ou de dessèchement. Ils s’engagent pour une campagne, c’est-à-dire d’octobre à juin, et repartent avec l’apparition des fièvres. Ils vont par bandes, obéissant à un chef qui dirige le travail. Ils sont d’une grande sobriété, très économes, très doux dans leurs relations.

Avec les Aquilani, je rencontrai dans les maquis les charbonniers et bûcherons génois occupés auprès de leurs meules. Leur figure respire un air grossier, presque sauvage, qui contraste avec la douceur et la simplicité des Aquilani. Tandis que ceux-ci recherchent des habitations commodes, les charbonniers se bâtissent au milieu des bois des cahutes composées de troncs d’arbres retenus par des mottes de terre, véritables demeures de troglodytes. La face toujours noircie, la barbe en désordre, vêtus de haillons, ils n’inspirent qu’une médiocre confiance au chasseur ou au voyageur égaré qui tout à coup les rencontre. Cependant quelques-uns d’entre eux sont d’honnêtes travailleurs, si d’autres ne craignent pas de donner asile aux birbanti, et souvent d’opérer de compte à demi avec eux. Les Toscans de la Maremme ne font d’ailleurs aucune distinction et poursuivent d’un égal mépris tous les Genovesi et Piemontesi que leur métier de charbonnier amène chaque hiver dans les maquis. Les Piémontais répondent par l’indifférence à la mauvaise idée que l’on a d’eux, et dans leur solitude s’inquiètent peu de l’opinion des hommes. Travaillant à prix fait, ils ne demandent qu’à aller vite en besogne, pour gagner beaucoup et porter au plus tôt leurs écus au pays. Plus sobres encore que les Aquilani, ils ne vivent que de polenta, pâtée de farine de maïs.

Les mineurs de la Maremme, surtout ceux de Monte-Bamboli, appartiennent à une nationalité différente de celle des terrassiers et des bûcherons. Ce n’est pas le royaume de Naples ni le Piémont, c’est la Toscane elle-même qui les fournit. On les recrute au commencement de chaque campagne dans les montagnes de San-Marcello