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bonne fin et dédommagea ses associés. Le succès couronna ses longs efforts ; il emprisonna les vapeurs des soffioni et les conduisit sous les chaudières de dissolution. Comme au point d’émergence quelques-unes de ces vapeurs ont la température de l’eau bouillante, on conçoit que désormais l’évaporation des lessives et la cristallisation de l’acide borique se firent pour ainsi dire sans frais. Aussi la production alla-t-elle toujours croissant, et M. Larderel possédait-il en 1858, quand je visitai la Maremme, jusqu’à dix établissemens qui fabriquaient ensemble par année plus de 1,200,000 kilogrammes d’acide borique. Les bénéfices élevaient à plus d’un demi-million de francs. La société anglaise qui achetait à M. Larderel tous ses produits, et qui l’avait lié par un traité dont il n’a pas vu lui-même la fin, réalisait, dit-on, un gain encore plus élevé.

L’acide borique récolté en Toscane se présente en petites paillettes cristallines d’un blanc jaunâtre. On l’emploie pour obtenir l’émail dans les fabriques de faïence et de porcelaine, notamment dans les fameuses usines du Staffordshire. Il sert aussi à produire le borax ou borate de soude dont se servent les bijoutiers pour fondre l’or et l’argent, et les serruriers pour braser, c’est-à-dire souder au laiton les petites pièces de fer. Enfin le borax s’emploie comme fondant dans les laboratoires et la petite métallurgie.

Je ne me contentai pas de visiter à Monte-Rotondo l’établissement de M. Larderel. J’allai voir aussi celui de M. Durval, installé non plus auprès du village, mais dans la plaine qui s’étend au pied de la montagne. C’est là qu’est le lac sulfureux de Monte-Rotondo, digne confrère de l’Averne. Ses eaux ont une apparence savonneuse, et de distance en distance, au bouillonnement qui se produit à la surface, on devine les soffioni du fond. Un petit bateau, échoué sur les rives fangeuses et couvertes de joncs, me permit de me promener sui l’eau. Le sol se relevait à partir des bords du lac de façon à imiter un cratère dont celui-ci aurait été le fond. Le paysage aux environs n’avait rien de bien gracieux, et la barque sur laquelle j’étais monté me rappelait l’esquif de Caron. Quand j’eus fini mon excursion, le nautonier qui m’avait passé ne vint pas me demander mon obole, et ce ne fut qu’à ce signe que je m’aperçus que je n’étais point aux bords du Styx.

Aux alentours du lac, les soffioni faisaient un effrayant vacarme. M. Durval avait eu, depuis quelques années, l’heureuse idée d’aller chercher sous le sol, au moyen de la sonde, les fumées souterraines. Il fut dès lors prouvé que des veines de vapeurs parcouraient le sous-sol de ces localités, comme on rencontre des veines d’eau sous d’autres points. Quand les ouvriers atteignaient les soffioni, les vapeurs s’échappaient brusquement par l’issue qui leur était ouverte. Arrivant à la surface avec grand fracas, elles projetaient à des hauteurs