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incontestables ; mais les conditions sociales et les mœurs des riverains de l’Amazone ne se sont pas sensiblement modifiées depuis que Spix et Martius ont accompli leur célèbre voyage. Toujours les populations s’endorment dans la même paresse et font preuve d’un égal manque d’initiative ; tout progrès apparent ou réel est dû à l’énergie de quelques étrangers ou bien à la bonne volonté du gouvernement central. En beaucoup de cas, on peut même constater un véritable recul.

Depuis trente ans, les villes construites sur les bords de l’Amazone n’ont pas augmenté en nombre[1], et l’on est toujours obligé de naviguer pendant des heures ou même pendant des journées entières avant d’apercevoir une seule maison sur l’une ou l’autre rive. De Para au confluent du Solimoens et du Rio Negro, la distance moyenne entre chaque ville ou village est de 175 kilomètres. En amont de Manaos, cette distance moyenne est de 240 kilomètres environ. Entre ces groupes d’habitations, si éloignés les uns des autres, on ne voit se dérouler sur les bords de l’Amazone que l’éternel horizon des forêts, interrompu çà et là par l’embouchure d’un igarapé désert. Dans la partie inférieure du fleuve jusqu’à Santarem et Obidos, on rencontre bien de temps en temps quelques goélettes et de larges embarcations à voiles ; mais sur le Solimoens proprement dit la vue d’un canot est un véritable événement. On est enfermé par la solitude la plus complète, et l’on pourrait se croire perdu dans une nature où l’homme n’a jamais pénétré. Les rives du Mississipi, cette grande artère fluviale de l’Amérique du Nord, sont également solitaires dans la plus grande partie du cours moyen. Trop basses pour être colonisées, elles gardent encore leur végétation première de saules et de trembles ; mais les collines et les plateaux qui s’élèvent à une certaine distance du fleuve sont en grande partie défrichés, et portent des villes et des villages. Dans le bassin de l’Amazone au contraire, le voyageur intrépide qui ose s’aventurer loin du fleuve ne rencontre que des selvas interminables et des savanes inhabitées ; la faible population s’est distribuée tout entière sur les bords du fleuve et de ses affluens, — les Tapuis, encore barbares, dans leurs campemens, — les Brésiliens, à demi civilisés, dans l’une dès quinze ou seize villes bâties de l’estuaire de l’embouchure à la frontière péruvienne.

Et quelles villes ! Les voyageurs qui croiraient y retrouver le comfort auquel ils étaient accoutumés en Europe seraient bientôt détrompés. La plupart des cités amazoniennes ne sont que des agglomérations de cabanes malsaines. Quelques-unes cependant,

  1. Prainha, ville de fondation récente, succède à l’ancienne Oteiro, dont les habitans ont émigré pour se rapprocher du fleuve.