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mestiças[1], les femmes surtout doivent à leurs bains continuels une grande pureté de contours et une transparence merveilleuse de la peau ; mais peut-être aussi doivent-elles à ces mêmes bains une véritable paresse, qui s’ajoute à la voluptueuse langueur commune à toutes les femmes créoles. Cependant la paresse des Indiennes tapuis s’allie à tant de grâce et de naturel qu’on n’ose blâmer ni approuver. « Si l’oisiveté n’était la mère de tous les vices, prétend M. Ayé-Lallemant, je dirais hardiment qu’elle, est à Cametà une aimable qualité ; en revanche, si l’habitude de se baigner n’était une vertu et la mère de la propreté, je la prendrais pour un vice en tenant compte du temps qu’elle fait perdre à Cametà ! » Après le bain vient la toilette, et les jeunes Indiennes à la démarche élastique, aux figures naïves, sont vraiment charmantes avec leurs robes et leurs jaquettes de simple cotonnade et les fleurs qui couronnent leur abondante chevelure. Presque toutes marchent pieds nus, et celles même qui ont assez de vanité féminine pour se procurer des souliers les portent le plus souvent à la main, mais eues déploient toujours leurs ombrelles, moins pour se garantir elles-mêmes que pour défendre leurs couronnes de fleurs contre l’ardeur du soleil.

En général, les hommes sont encore plus paresseux que les femmes. Dans un pays où les blancs considèrent comme leur principal titre de noblesse de n’avoir pas de bras (não braços) il est assez naturel que les Indiens veuillent, à force d’oisiveté, mériter leur admission, dans la société distinguée. Et d’ailleurs pourquoi travailleraient-ils, puisqu’ils peuvent s’en dispenser ? Le travail n’a de raison d’être que par l’utilité finale, et l’on pourrait presque qualifier d’immorale et d’insensée toute œuvre qui n’aboutit pas à un résultat pratique et consume sans profit les forces de l’ouvrier. Trop peu instruits pour désirer un genre de vie supérieur à celui qu’ils mènent ou pour s’occuper de leur développement moral, les Tapuis ne songent qu’à la satisfaction de leurs besoins immédiats, et la nature généreuse y, subvient de la manière la plus ample. Le palmier donne ses noix, sa tige nourrissante, sa liqueur délicieuse. Le cacaoyer fournit ses graines, le manioc ses racines ; dans la forêt, l’Indien trouve le gibier dans les eaux le poisson pirarucù et les œufs de tortue sur les plages abandonnées par l’inondation. Quelques troncs d’arbres abattus lui suffisent pour la construction d’une cabane ; une seule feuille de palmier bussu lui sert de porte ; dix feuilles placées à côté les unes des autres font à sa demeure un toit imperméable à l’orage pendant vingt années. Et s’il veut pour lui-même ou pour ses enfans, quelques verroteries ou des vêtemens, le figuier à caoutchouc pousse,

  1. Dans le nord du Brésil, on appelle mamalucos les individus qui offrent un mélange de sang indien et de sang caucasique. Les mesliços sont nés de parens indiens et nègres.