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sous le nom de cabaneiros, gardèrent jusqu’en 1837 la possession de plusieurs villes de la province ; mais en général ils ont trop peu d’énergie et trop de crainte enfantine pour devenir redoutables. Quant à leurs femmes, elles n’ont retenu de la longue oppression qu’une invincible timidité ; elles se cachent dans le feuillage pour voir passer l’étranger, et s’enfuient avec terreur lorsque leur présence est trahie par le frôlement des feuilles. Dans plusieurs villages, elles n’osent pas même pénétrer dans l’église, craignant d’avoir à y soutenir le regard d’un homme blanc.

Et pourtant cette population indienne est bien faite pour être heureuse, pour savourer dans toute sa volupté cette vie tropicale si facile et si douce ! Au Brésil, le plus pauvre des Indiens n’a rien à envier au plus riche et ne songe pas à redouter la misère ; le besoin de s’enrichir ou de parvenir, ces âpres passions qui empoisonnent l’existence de presque tous les civilisés, ne trouve guère l’occasion de s’exercer chez lui. Il n’a qu’à goûter la joie de se laisser vivre, et partout où il est son propre maître, il goûte en effet cette joie avec la même simplicité naïve que jadis l’insulaire de Taïti. Rien de gracieux comme les scènes de famille qu’on peut observer en plein air dans les villages des Tapuis, à l’ombre des palmiers euterpes ou bien sur l’eau du fleuve. M. Avé-Lallemant, qui les a souvent contemplées, en parle sous l’impression d’un sentiment presque religieux, et se plaît à décrire longuement ces charmans tableaux : l’enfant qui joue avec sa mère sur le sable du bord et la taquine gentiment avec de frais éclats de rire ; les tritons aux bras robustes et les sirènes aux longs cheveux noirs qui plongent de concert et vont reparaître au loin sous les ombrages de la rive ; les jeunes filles couronnées de fleurs qui s’assoient sur le bordage des canots, et, laissant leurs pieds nus tremper dans le courant, glissent lentement à la surface du fleuve.

Sur les bords de tous les cours d’eau où ils n’ont pas à redouter le crocodile ou le terrible poisson appelé piranga, ces fils de la nature semblent n’avoir d’autre occupation que celle du bain. L’Amazone aux eaux troubles et rapides ne les rebute point ; mais le Tocantins, le Rio-Negro et les autres rivières transparentes des provinces amazoniennes exercent sur eux une attraction à laquelle ils ne savent jamais résister. La population de Cametà, village indien situé sur la rive du Bas-Tocantins, est devenue comme amphibie ; à chaque instant du jour, on voit les habitans, hommes et femmes, se rendre de leur cabane au fleuve ou du fleuve à leur cabane. Quant aux enfans des deux sexes, ils jouent dans l’eau du matin au soir comme autant de petits dauphins. Aussi les Tapuis de Cametà sont-ils d’une exquise propreté et pourraient-ils, sous ce rapport, servir de modèles à tous les peuples du monde. Blanches ou brunes, mamalucas