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jadis de si brillans résultats ; la population elle-même s’est enfuie pour aller chercher dans les républiques voisines de la Colombie un sol libre où nulle institution ne rappelle l’antique servitude. Et ce mouvement d’émigration est général sur toutes les frontières de l’empire : du côté du nord, les Indiens de race pure se réfugient au Venezuela et dans la Nouvelle-Grenade ; à l’orient, ils vont chercher un asile au Pérou et en Bolivie ; près des limites méridionales, ils se retirent au Paraguay ; enfin plusieurs tribus qui habitent les provinces de l’intérieur et ne peuvent émigrer dans une république voisine abandonnent les aldeas pour jouir en paix de la grande liberté des forêts. Les mesures que l’on prend pour ramener les Indiens dans leurs villages et les attacher au sol sont non-seulement impuissantes, mais encore funestes, car les indigènes sont impatiens de toute règle : les passeports, les engagemens plus ou moins forcés, la menace de l’enrôlement ou de la prison, ne servent qu’à leur faire désirer plus ardemment l’expatriation ou le retour à la vie sauvage. Comme les Tapuis de l’Amazone, ils redoutent aussi, et non sans raison, les traitans avides qui viennent abuser de leur ignorance, et ne craignent pas de leur offrir une chemise de coton ou bien quelques bouteilles d’eau-de-vie pour le travail de toute une année. Et puis les traditions de l’inquisition en matière religieuse n’ont pas été entièrement abandonnées. Récemment l’Indien Venancio, s’étant fait passer pour un nouveau Jésus-Christ, réussit à grouper autour de lui plusieurs tribus du Rio-Negro. Aussitôt on envoya de Manaos une compagnie de soldats pour exterminer l’hérésie, et, fidèles aux traditions reçues, les soldats brésiliens prouvèrent une fois de plus l’infaillibilité de l’église en massacrant les Indiens sans défense et en dévastant les villages et les plantations. Depuis, on voulut réparer le mal, et le capitaine d’artillerie Firmino Xavier fut chargé en 1857 de visiter toutes les anciennes colonies d’Indiens, d’en fonder de nouvelles, et de les placer sous la garde d’un fort construit non loin du confluent du Rio-Negro et du Cassiquiare, sur les frontières du Venezuela et de la Nouvelle-Grenade. Le capitaine Firmino remplit sa tâche avec courage et dévouement. Après avoir bâti le nouveau fort de Cucuhy, il remonta le Rio-Içana jusqu’à ses sources, triompha des obstacles que lui opposèrent les quarante-trois cascades du fleuve, les bas-fonds marécageux, les fièvres paludéennes, et se mit en rapport avec tous les Indiens qui habitaient encore ce district, jadis très peuplé. Partout il fut témoin d’une lamentable décadence. Tel village composé de quinze maisons n’avait plus qu’un seul habitant ; tel autre renfermait les restes de plusieurs tribus, réduites chacune à quelques individus ; ailleurs six familles s’étaient réfugiées dans la même cabane. Des maisons en ruine, des églises écroulées, des champs envahis par les