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physique et morale. Sans eux, toute civilisation importée sur les bords du fleuve brésilien ne sera qu’une civilisation de passage, maintenue à grands frais et destinée à périr. Les métis de l’Amazone forment déjà les élémens d’un peuple : l’initiative européenne prouvera sa vertu, non pas en supprimant ces élémens épars, mais en les réunissant pour leur donner une, vie nationale.

D’autres colons attendent aussi sur les plateaux qu’arrosent les premiers affluens de l’Araguay, du Tocantins, du Tapajoz, du Guaporé, et ne demandent qu’à peupler les régions amazoniennes, lorsque l’émigration deviendra facile et ne sera plus, accompagnée de terribles dangers. Appartenant pour la plupart à une population de sang mêlé qui s’acclimate dans les régions chaudes beaucoup plus facilement que les blancs purs et se multiplie avec une prodigieuse fécondité, ils sont aujourd’hui séparés de la vallée de l’Amazone par des tribus d’Indiens hostiles dont la terreur publique fait d’invincibles monstres ; ils sont retenus surtout par l’énormité des distances et l’impossibilité de voyager promptement sur des fleuves interrompus en certains endroits par des rapides ou même par des cataractes redoutables. Les bateliers emploient quatre ou cinq mois à la remonte du Rio-Tocantins, de l’embouchure du fleuve jusqu’à Porto-Imperial ; ils en mettent cinq ou six pour remonter le Tapajoz de Santarem au port Dos Arinos ; enfin un voyage entre la province de Matto-Grosso et la ville de Parà occupe près d’une année entière, si bien que les bateliers peuvent à la descente ensemencer des champs qu’ils moissonnent à la remonte. Ainsi les riverains de la partie supérieure du Madeira sont en réalité plus éloignés de l’endroit où les eaux de leur fleuve se réunissent avec la mer que la France ne l’est aujourd’hui de ses antipodes. On comprend donc de quelle importance seraient pour le Brésil septentrional l’amélioration des passes sur les rapides du Madeira, du Tapajoz, du Tocantins, la construction de canaux pour l’évitement des cataractes et l’achat de bateaux à vapeur. Le premier résultat de ces entreprises serait de rapprocher de l’équateur les plateaux de Goyaz et de Matto-Grosso, et la diminution des distances aurait pour conséquence nécessaire l’accroissement de la population. De nos jours, le voyageur américain Gibbon, chargé par le gouvernement des États-Unis d’une mission analogue à celle du lieutenant Herndon, évalue à 2,000 individus seulement le nombre total des riverains du Madeira, de la frontière bolivienne à l’embouchure du fleuve, c’est-à-dire sur une longueur de 1 500 kilomètres environ.

Mais ce n’est pas seulement dans les limites de l’empire brésilien que doit se résoudre le problème de l’avenir pour ces contrées magnifiques, encore si peu utiles à l’humanité ; c’est principalement dans les vallées et sur les plateaux des cinq républiques environnantes.