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Déroulant leur immense demi-cercle autour du bassin de l’Amazone, frangées de distance en distance par les larges vallées de fleuves navigables, les Andes s’affaissent dans les plaines par une succession de terrasses offrant chacune un climat, une faune, une flore, des productions diverses, et formant autant de degrés où les colons peuvent s’accoutumer à la vie tropicale par gradations lentement ménagées. Lorsque des chemins faciles permettront de se rendre des bords du Pacifique au versant oriental des Andes, nul doute qu’une forte émigration, marchant sur les traces de ces pionniers allemands installés dans la vallée du Pozuzo, tributaire de l’Ucayali et de l’Amazone, ne se dirige vers ces terrasses si merveilleusement favorisées par la nature. Toutes ces nouvelles colonies distribuées sur les pentes des montagnes dans les républiques colombiennes, le Pérou et la Bolivie, seront autant de centres de civilisation d’où les produits et les hommes descendront pour suivre les affluens de l’Amazone et donner à ce grand fleuve l’immense importance commerciale qui lui est réservée. Déjà la population des vallées péruviennes et boliviennes est beaucoup plus nombreuse que celle des régions amazoniennes, où l’on ne compte pas même un seul habitant par 10 kilomètres de superficie. En outre les Indiens et les métis qui composent la population presque tout entière des vallées du Pérou et de la Bolivie jouissent de nombreux avantages qui leur assurent une énergie civilisatrice bien supérieure à celle des riverains du Bas-Amazone. D’abord leur climat n’est pas assez énervant pour qu’ils soient obligés de passer leurs journées à nager, comme leurs frères les Tapuis ; ils ne sont pas dévorés de moustiques et de carapanas ; ils respirent un air salubre, sans cesse renouvelé par un vent d’est qui égalise la température et prévient les fortes chaleurs aussi bien que les grands froids ; ils ont surtout l’inappréciable privilège de ne pas recevoir leurs alimens tout préparés des mains de la nature et d’être obligés de travailler pour vivre ; enfin ils sont libres depuis longues années, ils n’apprennent pas à mépriser le nègre esclave et ne se croient pas déshonorés par le labeur. Supérieurs aux Indiens du Brésil par la taille, la force, l’intelligence et la beauté, ils le sont aussi par l’énergie et l’amour du travail. Les seuls citoyens de la ville péruvienne de Moyabamba fournissent déjà au trafic de l’Amazone trois fois autant de produits que les habitans de l’immense territoire brésilien arrosé par tous ces interminables fleuves qui ont pour nom Solimoens, Rio-Negro, Madeira, Tapajoz. En 1858, les chapeaux dits de Panama, que les industriels de Moyabamba expédiaient au Para par les voies de l’Amazone, formaient les deux tiers de tous les produits transportés par les bateaux à vapeur. Et, chose remarquable, tandis que l’exportation péruvienne consiste principalement en articles industriels