Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 40.djvu/223

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

exagération d’un moment, non un système fécond, un tour de force, un défi, non un style durable. Aussi n’a-t-il eu de continuation que grâce au goût qui porte notre siècle à copier tour à tour les différens types du passé. Arrêtée brusquement par la renaissance, cette architecture ne survécut au coup qui la frappait que par un compromis singulier, je veux parler du gothique orné de détails grecs que l’on voit à Saint-Etienne-du-Mont, à Saint-Eustache ; puis elle disparaît sans retour. On a reproché aux artistes du XVIe siècle de ne pas l’avoir développée ; rien de plus injuste, c’était un style épuisé qu’il était impossible de faire revivre. Les imitations du XIXe siècle ne l’ont que trop prouvé. Les efforts pour donner de la raison à un paradoxe, pour rendre sensé un moment d’ivresse, ont prouvé par leur gaucherie que l’architecture du XIIe et du XIIIe siècle doit être classée parmi les œuvres originales qu’il est glorieux d’avoir produites et sage de ne pas imiter.


III.

Un grand fait résume donc toute l’histoire de l’art français au XIVe et au XVe siècle. L’art du moyen âge meurt avant d’avoir atteint la perfection ; au lieu de tourner au progrès, il tourne à la décadence. En d’autres termes, la renaissance ne se fit pas par la France. Aux XIe et XIIe siècles, la France surpasse de beaucoup l’Italie dans toutes les directions de l’art. L’Italie, à cette époque, n’avait rien à comparer à nos basiliques romanes, aux peintures de Saint-Savin, aux sculptures des premiers portails gothiques. Au XIIIe siècle, la France égale encore sa rivale. La France n’eut pas de Giotto, mais elle eut des architectes supérieurs à ceux de toute l’Europe. Au xiV, la France est définitivement surpassée. Les peintres d’Avignon, tous Italiens, sont reconnus pour des maîtres qu’on ne savait pas égaler. La France ne recule pas, mais l’Italie avance à grands pas. Ce siècle n’est chez nous ni un siècle de progrès, ni un siècle de décadence : c’est un siècle stationnaire. L’art gothique hésite, s’attarde, et finalement n’arrive pas à une forme acceptée de tous. Au XVe siècle, l’Italie s’engage seule avec un éclat sans pareil dans cette voie glorieuse où tout le monde devait essayer de la suivre. Pourquoi ce grand événement de l’histoire de l’esprit humain ne s’est-il pas accompli par la France ? Pourquoi le pays où se produisit le grand éveil de l’art chrétien s’arrête-t-il ensuite dans une sorte de médiocrité routinière ? Pourquoi le goût si élevé du premier style gothique fait-il place au goût plat et bourgeois qui nous blesse si souvent dans les ouvrages du XIVe et du XVe siècle ? Les causes de ce grand fait sont nombreuses, et tiennent à ce qu’il y eut de plus profond