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autres quatre cent mille hommes armés; douze cents chefs les commandaient et obéissaient à leur tour à un roi de guerre, qui se nommait Rodogaïse ou Radagaise. Radagaise était Goth de naissance, mais son nom rappelait celui d’une divinité vendo-slave, Radegast, dieu de la guerre et des conquêtes, auquel peut-être ce chef d’aventuriers s’était lui-même consacré, car il était prêtre et roi. On le voyait chaque jour consulter avec dévotion ses sombres divinités, et leur sacrifier victime sur victime. Il se vantait de leur préparer une hécatombe « qui apaiserait pour longtemps, disait-il, leur soif de sang humain : » cette hécatombe, c’était la population de Rome qu’il avait vouée tout entière à la destruction. Comme s’il eût eu hâte en effet d’accomplir son vœu, il ne séjourna point dans la Haute-Italie, il ne perdit point de temps à piller, mais se dirigea à grandes journées vers la route qui conduisait de Bologne à Rome, à travers les Apennins et l’Étrurie. Son armée, pour la facilité de la marche, se divisa en trois corps dont il commandait le premier et le plus nombreux. Tout dans cette invasion avait été inattendu, rapide, irrésistible.

Stilicon, surpris cette fois, n’eut que le temps de se renfermer dans Pavie où il se tint en observation, tâchant de rallier autour de lui les forces disséminées dans la Haute-Italie. Il réunit ainsi trente légions qui ne représentaient guère à cette époque qu’un effectif de trente mille hommes de troupes nationales, auxquelles s’adjoignirent une division de fantassins goths sous les ordres de Sâr ou Sarus, espèce de géant barbare dont l’audace égalait la force prodigieuse, un corps de cavalerie hunnique commandé par Uldin, un des rois de cette nation, et quelques escadrons alains. Sitôt qu’il eut aperçu le mouvement de l’ennemi vers Bologne et l’Apennin, il partit lui-même précipitamment pour gagner, le long de la mer, les plaines de la Toscane et saisir Radagaise, s’il était possible, à la descente des montagnes; mais, quelque diligence qu’il fît, il arriva trop tard : Radagaise était déjà devant Florence, dont il faisait lui-même le siège, tandis que les deux autres divisions de son armée se répandaient au loin pour réunir du butin et des vivres. Déjà Florence aux abois parlait de se rendre, lorsqu’un citoyen de haut rang vint trouver les magistrats et leur dit que la nuit précédente l’évêque Ambroise lui était apparu, et ordonnait de tenir bon jusqu’au lendemain, qui serait le jour de la délivrance. Cet homme avait reçu autrefois sous son toit l’évêque de Milan, mort depuis quelques années, et les Florentins aimaient à voir un protecteur de leurs foyers dans ce saint qui avait été leur hôte. Soit que les magistrats crussent à la vérité de l’apparition, soit qu’ils cédassent à un sentiment patriotique en essayant un dernier effort, la défense du rempart fut