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reprise, et on attendit. Le lendemain, Stilicon paraissait en vue de la ville. Radagaise, surpris à son tour, tenta à peine de combattre. Chassé de ses lignes par l’armée romaine et repoussé l’épée dans les reins vers l’Arno supérieur, il gagna en désordre la ville de Fésules, aujourd’hui Fiesole, à trois milles de Florence. Là, sans se donner le temps de rallier ses bandes éparses, il se retrancha sur une montagne qui formait une des dernières élévations de l’Apennin. Stilicon ne chercha point à l’y forcer; il se contenta de l’entourer d’une ligne de blocus, comme il avait fait d’Alaric en Arcadie, sur la montagne de Pholoë.

Le combat de Florence avait été vivement et heureusement conduit; la bravoure des légions s’était montrée sans reproche ; toutefois l’honneur de la journée appartint à l’infanterie gothe de Sarus et à la légère cavalerie hunnique, qui, battant le pays, massacra tous les Barbares qu’elle put atteindre, et dispersa le reste. Bloquée au sommet d’une montagne aride et escarpée, sans eau ni vivres, l’armée de Radagaise ne tarda pas à souffrir de la faim et de la soif. C’était le calcul de Stilicon, qui voulait laisser l’ennemi se consumer lui-même, et contenait l’ardeur du soldat romain dans ses retranchemens, où les vivres et le vin étaient à profusion. Aussi n’éprouva-t-il que de faibles pertes, tandis que les masses barbares, comme dans un spectacle funèbre joué sous ses yeux, passaient de la famine à la peste et de la peste à la frénésie du désespoir. Les malheureux ne cherchaient même pas à se battre, la contagion et la peur suffisaient à les moissonner chaque jour par milliers. Radagaise lui-même, saisi d’une folle épouvante, comme s’il eût senti la main d’un Dieu vengeur, ne songea plus qu’à fuir, et, abandonnant ses soldats qui mouraient, il parvint à franchir les lignes romaines sous un déguisement. Pris et reconnu, il fut ramené au pied de la montagne, où on lui trancha la tête à la vue de son peuple. Tout fut alors terminé, les Barbares se rendirent à merci; mais cent mille des leurs jonchaient la plaine de Florence ou les vallées de Fésules; le reste, exténué et malade, alla mourir dans les marchés à esclaves, où on les entassait la chaîne au cou. Cette marchandise humaine, selon le rapport des historiens, tomba pour lors à si bas prix que les prisonniers se vendaient en bloc, comme des troupes d’animaux, à un écu par tête.

Rome, deux fois sauvée, salua de nouveaux cris d’admiration son libérateur et son père. On arrêtait les soldats sur les routes pour les couronner de rameaux et de fleurs, et le sénat érigeait un arc triomphal en mémoire de la victoire de Fésules. Stilicon avait atteint le point culminant de sa fortune; mais son poète favori l’avait dit :