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Il faut admettre chez les hommes des qualités primordiales préexistantes aux institutions, quand ce ne serait que les qualités par lesquelles ils ont voulu ces institutions et se sont faits nation sous une même loi. Autrement dites-moi un peu ce qui déterminerait les groupemens humains ! Remarquez bien que nous parlons ici de nationalités, c’est-à-dire du fait le plus durable, le plus obstiné et pour ainsi dire le plus renaissant dont l’histoire fasse mention. N’admettrez-vous à l’origine de ce fait que les jeux de la force et du hasard ? Ce qui naît violemment, fortuitement, a-t-il cette vitalité indomptable ?

Ainsi quelques variétés se détachent sur le fond de l’unité humaine, et ces variétés se caractérisent surtout parmi ces personnages qu’on appelle nations. Une variété digne d’observation entre toutes est celle qui distingue les nations les plus civilisées en individualistes d’une part, en socialistes ou centralistes d’autre part.

J’appelle individualistes des hommes dont la passion est d’être libres, non-seulement de cette liberté qui institue le législateur, mais de celle qui ne subit pas de lois : — non que telle soit sur ce dernier point leur préméditation, encore moins leur pratique ; j’entends parler seulement d’un instinct, d’un premier mouvement où se trahit la race, qui est tout d’abord de nier, de rejeter le règlement, pour n’en garder, même toute réflexion faite, que le moins possible. L’idéal de ces hommes n’est pas la justice, mais la force ; expliquons-nous : la force de chacun franchement exercée, l’espace ouvert, l’entrave abolie, le prochain à distance ; bref, le déploiement de l’individu. Les Anglais appellent cela, aujourd’hui qu’ils font la théorie de la chose, le principe volontaire. On n’aspire pas directement par là au vrai et au bien, mais on ne s’en détourne pas non plus. Cet idéal n’est pas la même chose que l’égoïsme, ou du moins il ne l’est pas nécessairement. En tout cas, de quelque nom qu’on l’appelle, il a sa part de droit et de grandeur. C’est un titre qu’il invoque, un titre sans pareil, quand il entend faire de l’individu, au nom de la conscience et de l’intelligence humaine, Un être inviolable à certains égards, quelque chose d’indépendant et de souverain. Bossuet a décrit et maudit comme il lui appartenait la passion de controverse théologique qui possédait Cromwell et ses compatriotes ; mais trouvez donc quelque chose de plus irréprochable, de plus élevé que cet individualisme, que ce besoin de croire et de porter témoignage de sa croyance, sans être repris par aucune autorité ecclésiastique ni séculière !

Puisque nous tenons l’Angleterre, ne la quittons pas. Aussi bien parler d’individualisme, c’est parler de ce pays, auquel il est advenu de rejeter le droit romain, de rejeter le catholicisme, de rejeter le classique : une originalité, un relief de nation comme on n’en voit pas. De quelque côté qu’on se tourne, l’unité ou du moins l’uniformité