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prés, des lézards verts et des gouttes de rosée. Il avait beaucoup de talent, il était beau, il avait vingt-quatre ans, et son père ne lui avait laissé que des dettes.

La veuve d’André Thierry était là, dans cet atelier où Julien travaillait et où les grappes de lilas s’effeuillaient sous les caresses d’une brise tiède. C’était une femme de soixante ans, bien conservée, les yeux encore beaux, les cheveux presque noirs, les mains effilées. Petite, mince, blanche, pauvrement mise, mais avec une propreté recherchée. Mme Thierry tricotait des mitaines, et de temps en temps levait les yeux pour contempler son fils absorbé dans l’étude d’une rose.

— Julien, lui dit-elle, pourquoi donc est-ce que tu ne chantes plus en travaillant ? Tu déciderais peut-être le rossignol à nous faire entendre sa voix.

— Écoute, mère, le voilà qui s’y met, répondit Julien. Il n’a besoin de personne pour lui donner le ton.

En effet, le rossignol faisait entendre pour la première fois de l’année ses belles notes pures et retentissantes.

— Ah ! le voilà donc arrivé ! reprit Mme Thierry. Voilà un an de passé !… Est-ce que tu le vois, Julien ? ajouta-t-elle pendant que le jeune homme, interrompant son travail, interrogeait de l’œil les bosquets massés devant la fenêtre.

— J’ai cru le voir, répondit-il en soupirant, mais je me suis trompé.

Et il revint à son chevalet. Sa mère le regardait plus attentivement, mais elle n’osa l’interroger.

— C’est égal, reprit —elle au bout de quelques instans, tu as la voix belle aussi, toi, et j’aimais à t’entendre rappeler les jolies chansons que ton pauvre père disait si bien… l’année dernière encore, à pareille époque !

— Oui, répondit Julien, tu veux que je les chante, et puis tu pleures ! Non, je ne veux plus chanter !

— Je ne pleurerai pas, je te le promets ! Dis-m’en une gaie, je rirai… comme s’il était là !

— Non ! ne me demande pas de chanter. Ça me fait mal aussi à moi ! Plus tard, plus tard ! ça reviendra tout doucement. Ne forçons pas notre chagrin !

— Julien, il ne faut plus parler de chagrin, dit la mère avec un accent de volonté attendrie, mais vraiment forte. J’ai été un peu faible au commencement, tu me le pardonnes bien ? Perdre en un jour trente ans de bonheur ! Mais j’aurais du me dire que tu perdais plus que moi, puisque tu me restes, tandis que je ne suis bonne à rien qu’à t’aimer…

— Et que me faut-il de plus ? dit Julien en se mettant à genoux