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commune et de la province les divisions électorales par classe, les privilèges seigneuriaux, qui étaient jusqu’alors la base de l’administration. Les populations accueillirent chaudement ces réformes ; mais le gouvernement hésita à les appliquer, et bientôt un incident, à coup sûr déplorable, mais qu’une insigne mauvaise foi pouvait seule exploiter contre les idées libérales, vint fournir un prétexte pour marcher hardiment dans la voie de la réaction. Le 22 mai 1850, un ancien artilleur de la garde, Sefeloge, natif de Wetzlar, visa le roi à bout portant au moment où il entrait dans la gare de Potsdam et le blessa à l’avant-bras. On eut beau faire à l’instant même la plaisante découverte que l’assassin était membre du Treubund, de cette « association de fidélité avec Dieu pour le roi et la patrie » que recrutait et propageait à grand fracas le parti féodal ; on eut beau se convaincre bientôt que le malheureux était atteint d’aliénation mentale, — il devait bientôt en effet mourir dans un hospice de fous ; — enfin la bonne ville de Wetzlar eut beau faire constater d’une manière officielle, et pour sauvegarder son honneur, que « le nommé Sefeloge avait quitté dès l’enfance son pays natal, et n’avait pu par conséquent y puiser des principes dangereux : » la misérable doctrine de la complicité morale fut néanmoins prêchée avec une audace inouïe. La Réforme allemande, l’organe du ministère, rendait « les « pharisiens de la démocratie modérée » responsables de la « dégradation morale et intellectuelle qui avait trouvé son expression dans Sefeloge. » Le moniteur du parti féodal, la trop fameuse Gazette de la Croix, allait plus loin encore : il faisait remonter l’origine de l’attentat du 22 mai jusqu’à M. de Radowitz. « Le jésuitisme (disait l’aimable feuille en faisant allusion à la foi catholique du royal ami) n’a jamais porté bonheur aux états ; les jésuites ont marché trop souvent la main dans la main avec des régicides pour qu’on puisse se défendre de les avoir en horreur, alors même qu’ils nous approchent en amis. » C’est la presse surtout qui se ressentit d’abord de l’attentat de Sefeloge : une ordonnance du 5 juin 1850 apportait à sa liberté des restrictions graves, tracassières, qui ne durent cesser qu’avec le ministère Manteuffel-Wetsphalen. Quant aux lois sur l’organisation des communes et des provinces, d’une importance vitale pour le développement constitutionnel du pays, elles furent décidément « ajournées, » et l’ajournement dura tout le temps du règne.

Déjà, vers la fin de l’année 1850, on doutait que la constitution pût « passer l’hiver » (überwintern). Enhardie par l’issue déplorable du mouvement unitaire, par la défaite d’Olmütz, qui était pour elle un triomphe, la Gazette de la Croix déclarait franchement que « ce qui menaçait les trônes, ce n’était point telle ou telle chambre, tel ou