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dames anglaises. Son mari, qui se vantait à bon droit d’être du plus pur sang écossais, n’en coula pas moins des jours heureux avec celle qu’il avait choisie pour sa compagne : il soutint généreusement son rôle et ne regretta jamais la résolution qu’il avait prise ; mais son bonheur devait être de courte durée. Après cinq années d’une union paisible et d’autant plus douce que les bruits du monde ne la vinrent jamais troubler, il perdit l’épouse à laquelle il avait eu le courage de sacrifier une partie de sa considération personnelle. Celle-ci lui laissait en mourant, comme souvenir d’une félicité trop vite envolée, une fille qui devint l’unique joie de son père.

Nella, élevée sur les genoux du capitaine Mackinson,— qui changeait fréquemment de résidence et vivait souvent sous la tente,— ne fut point initiée aux secrets de l’éducation européenne. Sa seule gouvernante avait été sa nourrice indienne, Gaôrie, née dans les montagnes du centre de l’Inde. Nella était donc ce que la nature l’avait faite : elle joignait à la noble fierté de son père la pétulance de son aïeul l’aventurier français ; de plus elle tenait de sa mère ces élans impétueux, ces accès de langueur et de vivacité, de paresse et d’énergie que, dans son langage sévère, la prude Europe a qualifiés du nom de caprices.

Depuis que le capitaine Mackinson était veuf, aucun obstacle ne s’opposait à ce qu’il reprit sa place parmi les gentlemen anglais ; mais soit qu’il eût gardé le goût de la solitude, soit qu’il désirât jusqu’à la fin de sa vie rester fidèle au souvenir de la femme qu’il avait perdue, il continua à se tenir en dehors du monde officiel ; seulement il recevait de temps à autre la visite de quelques jeunes officiers qui trouvaient du profit à s’entretenir avec lui, et prenaient plaisir à causer avec Nella. Il y avait dans la nature peu cultivée, mais intelligente de cette enfant, une spontanéité charmante ; elle aimait singulièrement à interroger les Européens et écoutait avec une avidité extraordinaire tout ce qu’on disait autour d’elle de la société et des usages de l’Occident. De là naissait en elle un désir immodéré de voir le pays d’où venaient les jeunes gens qui visitaient son père, et de se mêler elle-même à ce monde civilisé dont elle se faisait une idée aussi imparfaite qu’attrayante. Fidèle à sa double origine, elle avait les instincts naïfs des femmes de son pays et les aspirations mondaines des jeunes filles élevées pour briller. Personne, pas même son père, n’aurait eu le courage de l’avertir que la couleur incertaine de sa peau pourrait bien lui interdire l’entrée de ces salons dorés dont la pensée troublait la paix de ses rêves. Au milieu de ces illusions et dans cette ignorance des mœurs de l’Occident, Nella croissait en âge et en beauté sous le radieux soleil de l’Inde.