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II. — LA DJADOUGAR.

Au mois de décembre de la même année, par une belle nuit toute resplendissante d’étoiles, deux palanquins stationnaient à la porte du bungalow habité par le capitaine Mackinson.

— Sir Edgar, dit celui-ci en s’adressant à un jeune homme qui se tenait debout près de l’une des fenêtres du salon, tout est prêt. Si vous le voulez, nous allons partir.

— A vos ordres, capitaine, répondit sir Edgar. La brise du large commence à souffler, et la lune ne tardera pas à paraître.

En un instant, les deux gentlemen eurent endossé leurs jaquettes de flanelle et serré les boucles de leurs longues guêtres de coutil blanc. Il s’agissait d’une partie de chasse dans les marais de Panwell, qui s’étendent sur la côte mahratte, à quelques lieues de l’île de Bombay. Pendant tout l’hiver, les canards et les bécassines s’y réunissent en grand nombre. Au signal donné par le capitaine, les serviteurs furent sur pied ; les cuisiniers et leurs aides prirent les devans, emportant avec eux la vaisselle et les provisions de bouche ; puis vinrent les boys, chargés d’avoir soin des narguilés, puis enfin le konsamah (maître d’hôtel), qui fermait la marche. Les porteurs de palanquin s’élancèrent bientôt au petit trot, et tout le cortège disparut derrière les arbres du jardin.

Quoiqu’il fût tard déjà, Nella ne dormait pas. À peine son père était-il parti qu’elle se sentit possédée du désir de l’aller rejoindre. Rejetant avec vivacité la babouche qu’elle balançait nonchalamment au bout de son petit pied, elle réveilla sa nourrice Gaôrie, qui sommeillait, étendue tout de son long sur un tapis.

— Gaôrie, lui dit-elle, lève-toi vite ; appelle mes porteurs, et partons !

— Où veux-tu aller à pareille heure, petite Nella ? demanda la nourrice en se frottant les yeux.

— Je veux accompagner mon père dans son excursion sur la côte… Allons, dépêche-toi !…

— Mais le capitaine grondera ; d’ailleurs il n’est pas seul…

— C’est précisément parce qu’il y a un étranger avec lui que mon père ne nous grondera pas. Vite, vite, fais venir mon palanquin avant qu’il ne soit trop tard.

Pendant que Gaôrie se résignait à obéir aux ordres de Nella, celle-ci était allée s’asseoir sur la dernière marche du perron qui conduisait du salon au jardin. Impatiente de partir, elle chantait à demi-voix en frappant le sable du talon, lorsqu’une forme noire se dressa à ses côtés. Nella, effrayée, poussa un cri ; il y avait là, près