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dieux ! Nous brûlions de te posséder dans nos campagnes, nous étions desséchés à force de soupirer après toi. Délions les bœufs, et que le soc de la charrue se couvre de rouille ! Ta présence va nous dispenser des soucis et de la fatigue ! Tout va germer et mûrir sans que nous en prenions aucun soin. Nos raisins de Lemnos vont écraser sous leur poids les supports et les treilles ; nos jeunes plants d’oliviers vont se couvrir, avant la saison, de fruits abondans et sains ! O mes amis, ne songeons plus qu’à couper du lierre pour couronner nos coupes ! Nous allons, mollement couchés sur des tapis de violettes, au bord des sources toujours pleines, boire le vin doux parfumé de graines de myrte !

CARION.

Que ce coryphée est agréable ! Jamais personne ne parla si bien. Par ma foi, je veux aussi louer Plutus pour qu’il fasse attention à moi ! 0 dieu ami de la danse !…

PLUTUS, qui est descendu de son brancard et qui se traîne en boitant.

En voici un qui me prend pour Bacchus !

CARION.

Excuse-moi, Plutus ! N’es-tu pas le dieu des fêtes et de la bombance ?… O divin Plutus, aimable adolescent, fais que nos marchés regorgent de richesses, de bonnes têtes d’ail, de concombres précoces, de pommes, de grenades et de bons petits vêtemens de laine pour les esclaves ! Qu’on y voie accourir ces braves marchands de Béotie chargés d’oies, de canards, de tourterelles, de bisets, de lièvres, de roitelets et de sauterelles bien grasses ! Qu’on nous apporte des paniers pleins de poissons et de coquillages, et que, pressés à table, nous y mangions jusqu’à tomber dessous, après quoi, nous traînant avec délices à la manière des quadrupèdes, nous lutterons à nous pousser et à nous amonceler sous tes pieds comme un grand tas de pots cassés et de coquilles d’huîtres ! (Il s’agenouille et baise le vêtement de Plutus, qui le repousse, et va de l’un à l’autre sans pouvoir se soustraire aux hommages et aux embrassades. )

CHRÉMYLE, embarrassé, à Mercure.

Pour dire la vérité, à moins que Plutus ne fasse sortir de terre des mets délicieux, j’ignore où nous les prendrons ! Mon plus grand régal est de faire griller des pois et de les manger avec une grive et deux pinsons, en arrosant le tout d’une boisson de thym broyé, favorable à la digestion ; mais si Plutus dédaigne nos repas champêtres, il ne tiendra qu’à lui, je pense, de nous faire faire meilleure chère !

MERCURE.

Or donc, Plutus, écoute ce que l’on te dit, et réponds à ton hôte, au lieu de branler la tête !

PLUTUS.

Eh ! eh ! je ne suis point fâché de revoir la lumière du soleil ! et ces bonnes gens me font un accueil agréable. Je consens donc, pourvu qu’ils cessent de m’étouffer de leurs embrassemens, à demeurer parmi eux.

CHRÉMYLE.

Oui, oui, Plutus ! à cette heure, tu reconnais les hommes de bien, et tu vois que j’en suis !