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proportions qui dépassent tous les calculs ; Dieu sait la somme qui serait nécessaire pour défrayer les services tels qu’ils sont aujourd’hui, et celle plus considérable qui devrait compléter les cadres et combler les lacunes ! On a parlé de 2 millions de livres sterling, 3 ou 4 s’y engloutiraient. En raison de la gêne des écoles et des efforts que leur entretien comporte, l’emploi économique des fonds s’y fait d’une manière naturelle ; l’argent est dépensé sous les yeux de ceux qui le donnent et qui ne supporteraient rien de parasite ni de suspect. Peu d’abus sont à craindre dans cette gestion de famille ; avec l’état, on aurait moins de scrupules et plus de prétentions. Ce n’est pas une si petite affaire qu’on le croit que de se substituer aux contributions volontaires. Dans la principauté de Galles, elles montent à 18,000 livres par an contre une subvention de 6,000 livres du conseil privé ; dans le comté de Lancastre, avant que la période de détresse ne l’eût atteint, les dons privés fournissaient 35,000 livres contre 14,000 qu’accordait l’état. Ces subsides de la charité devraient disparaître pour aller grossir les colonnes du budget du royaume, déjà bien surchargé.

Il faut d’ailleurs ne pas séparer les actes de l’esprit qui les a inspirés. Ce qu’un gouvernement distribue au nom et pour le compte de la communauté n’a qu’une signification numérique ; ce qui vient de l’individu a une intention marquée ; près de la main qui donne, il y a un cœur qui s’émeut et un œil qui veille. Le bienfait oblige des deux parts ; c’est un champ qui est ouvert à l’exercice de quelques vertus, et qu’il serait imprudent de restreindre. On a, il est vrai, imaginé des systèmes où l’état remplit seul la scène avec quelques comparses pour le seconder, où seul il agit et soulage, choisit entre les attributions, et ne délaisse que celles qui ne sont point à sa convenance. Ces systèmes sont de nature à blesser la raison et la dignité publiques. Le bon sens dit qu’il convient de maintenir dans le domaine privé toutes les fonctions et tous les actes qui peuvent y demeurer utilement. C’est ce qu’ont pensé les Anglais et ce qui les rend circonspects en matière d’usurpations. Ils se défient des entraînemens, ils craignent d’ouvrir la porte à des chimères dont ils se sont longtemps préservés, l’instruction gratuite par exemple, ou bien l’instruction obligatoire. Les documens que je viens de résumer n’autorisent nullement des vues aussi aventureuses : non pas qu’on n’y cite par exception des écoles gratuites pour les enfans des pauvres, des écoles obligatoires pour les enfans des manufactures, aucune forme n’est repoussée ; mais il y a loin de là à un plan général d’éducation où les familles seraient à la fois exonérées et dessaisies. L’enquête se tait sur ces débauches de l’imagination, et n’en fait pas autrement justice que par ce silence.


LOUIS REYBAUD, de l’Institut.