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quent agir avec la plus grande rapidité, pour échapper aux maladies, suites fatales du climat. À deux heures du matin, la diane éveillait ceux que les moustiques avaient laissé dormir, et la colonne s’ébranla sur les pas d’une avant-garde que guidaient deux habitans de Diougoun-Tourè.

Le pays que nous avions à traverser est d’abord une grande plaine, en partie inondée dans cette saison. D’assez hautes collines, dont la chaîne principale commence à Bakel, la terminent à l’ouest et au sud, en courant parallèlement au fleuve. De temps en temps, les clairons de l’avant-garde annonçaient la direction à suivre ; mais notre marche, déjà ralentie par l’obscurité, avait été encore retardée par le terrain vaseux que nous foulions, où s’embourbaient les roues des obusiers, et surtout par des ruisseaux où nous enfoncions jusqu’aux genoux. Aussi n’atteignîmes-nous que vers quatre heures les premières hauteurs. La colonne se trouvait alors dans une forêt épaisse, à travers laquelle serpentait un étroit sentier. À chaque instant, les obusiers se heurtaient contre les racines des arbres, et les branches cachées dans l’ombre nous fouettaient la figure. Ce fut avec un sentiment de profonde satisfaction que nous vîmes poindre les premiers rayons de l’aube. Ces impressions étranges que la nuit jette aux âmes les mieux trempées ne tardèrent pas à disparaître, et la splendide nature qu’éclaira bientôt le soleil eût seule justifié d’ailleurs le plaisir que la venue du jour nous fit éprouver à tous. C’était cette admirable végétation de certaines parties de l’Afrique centrale, que l’on a si souvent essayé de décrire sans pouvoir en rendre les magnificences. Des arbres gigantesques, que dominaient encore des baobabs dont quinze hommes n’eussent pu embrasser le tronc en se donnant la main, croisaient au-dessus de nos têtes leurs branches énormes, d’où pendaient, comme des stalactites de verdure, des flancs flexibles, tantôt tendues comme les cordes d’un arc, tantôt recourbées sur elles-mêmes en festons gracieux ; des fleurs inconnues, des iris, des glaïeuls, des lis de toutes couleurs, étalaient leurs calices odorans sur un gazon aussi vert que les green d’un parc anglais, et quand l’œil pouvait, à travers une clairière, atteindre l’horizon, le fleuve apparaissait derrière nous, déroulant ses méandres capricieux à travers la plaine que nous venions de traverser.

Avec le jour, l’ordre se rétablit dans la colonne malgré les difficultés de la route. Dès six heures, nous avions franchi la première chaîne de collines, et nous débouchions de la forêt sur un plateau élevé où nous fîmes une halte de quelques instans pour attendre les corps placés à l’arrière-garde. D’ailleurs la nature du terrain permettait de serrer les distances, et le voisinage de Guémou faisait au chef de la colonne une loi de s’avancer avec plus de précaution.