Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 43.djvu/596

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tout à la fois progressives et perturbatrices, d’un germe de vérité trop pressé de naître.

Ainsi la même institution peut être jugée très différemment selon l’heure où on la regarde : vérité peut-être en-deçà de la renaissance, erreur au-delà. Il faudrait donc en toute institution démêler au juste la durée du service, la durée de l’abus, et démontrer la longévité supérieure de l’abus pour pouvoir taxer de pur accident la puissance de l’opinion qui apporte la réforme et le progrès.

Qu’il y ait en somme plus de mal que de bien parmi les hommes, la question n’est pas là. Quel que soit le jugement à porter sur l’humanité et sur la manière dont elle remplit ses annales, une chose est claire : nous sommes perfectibles, meilleurs aujourd’hui qu’autrefois, ou plutôt, pour ne rien outrer, moins horribles sous le masque moderne qu’avec les traits antiques ou barbares. Maintenant d’où vient que des êtres égoïstes accomplissent le progrès, qui, à certains égards, est une réduction croissante de l’égoïsme? Comment se fait-il que l’intelligence et la conscience puissent obtenir quelque avantage sur l’égoïsme, qui a la valeur d’un instinct, tandis qu’elles ont la simple valeur d’une notion, tout au plus d’un sentiment?... Cela est bizarre au premier chef et passablement obscur. Il est certain que les sociétés acquièrent ou développent avec l’âge l’organe du droit dans la personne de l’état. Cela explique bien des choses, sans expliquer tout; mais n’allons pas commettre l’indécence d’attaquer ici en quelques lignes un sujet que nous avons seulement effleuré ailleurs en huit cents pages, encore moins d’y renvoyer le lecteur. Contentons-nous de dire que le monde est capable non de perfection, mais de perfectionnement, et cela par une certaine communion des esprits avec la vérité, laquelle paraît d’abord sur les hauteurs pour descendre de là parmi les ignorances et parmi l’erreur même des intérêts.

Je sais qu’on peut m’opposer une tout autre manière d’entendre les choses. Laissons parler certain matérialisme : à l’entendre, ce sont les instincts qui gouvernent le monde, et ce règne de l’opinion, cette puissance initiale et fondamentale de la vérité, n’est qu’hypothèse et déclamation. Des masses qui souffrent et qui se révoltent, des souverains ou des nobles qui vont aux masses la main pleine pour y trouver main forte, quoi de plus naturel? Ce sont là des faits qui tiennent à l’instinct, des faits de l’ordre physique pour ainsi dire. Inutile d’en chercher plus haut la raison à grands coups d’aile, quand elle est tout près de nous, au ras de terre et à fleur de peau.

Voilà un commentaire qui a l’incontestable mérite de n’être pas déclamatoire. Cette interprétation est prise au plus bas de nous-mêmes, j’en conviens; mais elle n’est pas moins erronée. Remar-