Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 43.djvu/623

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

premières lignes d’une lettre qu’il ne put terminer. « J’arrive, et bientôt je vais repartir, chère Efisa, disait-il. Je ne vous reverrai plus que lorsque je serai vraiment libre de vous aimer... » Ces mots, dit Sercomin en remettant le papier à Gian-Gianu, peuvent être obscurs pour vous. Sans entrer dans des explications maintenant impossibles, qu’il vous suffise de savoir que j’avais fait un serment à mon père. Un mariage d’inclination conclu malgré sa famille l’avait éloigné d’elle; il voulait pour moi une meilleure destinée. — Jure-moi, me dit-il à son fit de mort, que tant que ta mère vivra, tu ne laisseras entraîner ton cœur à aucun engagement sérieux sans l’avoir consultée, que tu ne te marieras pas sans qu’elle ait approuvé ton choix. — Je jurai, et mon père mourut plus tranquille.

Cette approbation maternelle, Sercomin allait la chercher, et bientôt il eût ramené à Efisa celle qui eût été sa mère : Dieu ne l’avait pas voulu... En achevant ce récit, Sercomin prononça à voix basse le nom de Gambini, puis il demanda encore le crayon, et écrivit d’une main défaillante sur un feuillet de papier : « Adieu, ma mère. » — Ami, ajouta-t-il, coupez-moi une boucle de cheveux; mettez-la dans ce papier. Vous confierez le tout à mes camarades, pour qu’ils le remettent à ma mère. Et maintenant faites entrer Beppo et les bergers. Vous tous qui m’avez aidé à retarder la mort, aidez-moi à l’attendre.

Gian ouvrit la porte du madao, mais tout aussitôt il la referma vivement. Il se trouvait en face d’Efisa, que Beppo et les bergers cherchaient à empêcher d’entrer. Elle s’était levée dès l’aube et avait fait demander son cousin. Ayant appris que Beppo était venu le prendre avec un berger du madao de Morones, elle avait fait seller un cheval et s’était dirigée vers le madao. En dix minutes, elle était arrivée. C’est en vain que Beppo et Gian lui-même s’efforcèrent de la retenir. Elle s’échappa de leurs mains, poussa brusquement la porte et s’élança dans l’intérieur. Gian l’avait suivie. En apercevant Sercomin, la fille de Gambini poussa un de ces cris terribles, étouffés et déchirans, dans lesquels on sent atteintes les sources mêmes de la vie. Elle chancela; mais ce ne fut qu’un instant, et comme Gian s’élançait pour la soutenir, elle s’avança d’un pas ferme vers Sercomin.

— Pourquoi n’est-ce pas moi que vous avez fait prévenir la première? lui demanda-t-elle d’un ton de doux reproche.

Mais la fatigue et cette joie inattendue qui lui était faite à ses derniers momens avaient déterminé une nouvelle crise dans l’état du blessé. Il ne put répondre et recommença de vomir le sang. Elle l’étancha avec son mouchoir, et, s’asseyant auprès de Sercomin,