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elle lui prit la main. Le curé de Valverde arriva quelque temps après. L’état du mourant ne semblait pas avoir empiré. L’expression surhumaine de l’amour survivant à la mort donnait même à ses traits une sorte de radieux éclat; mais cette transfiguration ne pouvait tromper l’œil exercé de Beppo : Sercomin n’avait plus que quelques heures à vivre, dit-il tout bas à Gian. Après avoir reçu les secours de la religion, le mourant fut laissé seul avec Efisa.

Vers trois heures, Gian s’entendit appeler du dedans. — Regardez! regardez! dit-elle à son cousin. La mort approchait : l’œil était déjà vitreux, les mains étaient humides et glacées. Gian fit entrer Beppo et les bergers. Tous s’agenouillèrent autour du mourant. Il fit effort pour presser leurs mains, puis chercha de nouveau Efisa. La respiration devenait de plus en plus oppressée et sifflante. Efisa lui retira une croix d’or qu’il portait suspendue au cou[1]... Peu à peu la respiration même s’arrêta : tout était fini.

C’est en vain que l’on supplia la fille de Gambini de s’éloigner; elle voulut faire elle-même à son fiancé la veillée des morts. Elle baisa ses yeux éteints et les ferma. Pour Beppo, c’était jouer un jeu dangereux de rester dans cette cabane en pays découvert; mais pendant une journée le brave bandit, tout entier au malheur d’autrui, n’avait pas songé un instant à sa sûreté. Il remit à Gian, sur sa demande, la déclaration qu’il avait reçue de Sercomin. Muni de cette pièce, Gian partit au galop dans la direction de Brâ. En route, il rencontra Gambini, qui revenait vers Ossano. Gambini avait bien pressenti qu’Efisa ne serait pas allée à Monteleone. Il était pensif, et, contre toutes ses habitudes, avait mis son cheval au pas.

Zio Gambini, lui dit Gian, Sercomin, l’officier sur qui on a tiré hier soir, est mort.

— Ah! Et quand est-il mort?

— Il y a une heure.

— Il y a une heure! Et qu’a-t-il dit avant de mourir?

— Il m’a donné copie d’une lettre qu’il avait adressée hier à Efisa.

Et Gian lui tendit la lettre. Gambini la prit avec étonnement et la lut avec attention. Il cherchait sans doute à se rappeler si cette copie concordait bien avec le texte original.

— Et qu’a-t-il dit au sujet de cette lettre? demanda Gambini après lecture faite.

Du jour où Gian avait été donné par son père à l’oncle Gambini, il lui devait la vérité aussi bien que le dévouement; il la lui dit donc

  1. Les femmes sardes ont coutume d’enlever aux mourans les objets bénis qu’ils peuvent avoir sur eux; elles croient que la vertu de ces objets prolonge les souffrances en retardant la mort.