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lings ou 2 shillings 6 deniers comme limite ordinaire des secours. Même sans ce motif, la simple prévoyance lui aurait commandé de maintenir les secours au taux le moins élevé possible. En effet, il faut prévoir le jour où le grand mouvement charitable excité en faveur des ouvriers du Lancashire viendrait à s’affaiblir, tandis que rien ne nous assure de l’époque à laquelle finiront leurs épreuves. Peut-être le moment où le flot des souscriptions cessera de couler sera celui où la souffrance aura atteint la plus grande intensité. Bien des gens regardent avec plus de crainte l’hiver prochain que celui dans lequel nous nous trouvons, et le comité, dans son rapport officiel du 19 janvier, calculant qu’en 1863 l’on pourra à peine filer la moitié du coton que l’on filait avant la guerre d’Amérique, estime que la perte des salaires ne pourra pas, durant cette année, être inférieure à 6 millions sterling ou 150 millions de francs. Dans ces prévisions, le comité a jugé qu’il était de son devoir de mettre en réserve tout ce qui n’était pas indispensable pour soutenir la population en détresse. Lui seul pouvait le faire; chargé non de distribuer des secours aux pauvres, mais de répartir le produit des souscriptions entre tous les comités locaux, lui seul avait le droit de dire et pouvait dire avec l’autorité nécessaire : « C’est assez pour aujourd’hui, faisons une réserve pour demain. » Cette réserve s’élevait le 1er janvier à 327,056 livres sterling ou 8,176,300 francs, ressource dont l’avenir enseignera la valeur, et à laquelle sans doute bien des familles devront de ne pas tomber dans une misère qui leur serait bien plus cruelle, s’il venait à leur être démontré que par une meilleure économie des ressources elles eussent pu en être préservées.

Il suffit de jeter les yeux sur un livre de comptabilité dont les extraits sont publiés tous les jours, et de parcourir les magasins où l’on reçoit les dons pour se faire une idée de l’importance des opérations du comité central de Manchester. Les chiffres que j’ai donnés plus haut prouvent assez l’abondance des souscriptions recueillies pour le Lancashire. Ces chiffres portent à près de 6 ou 7,000 livres sterling (150 ou 175,000 francs) par jour les recettes du comité central. Rien ne serait plus intéressant que l’étude des longues listes de ces souscriptions publiées par les journaux; on serait frappé du nombre des petites contributions qui y figurent à côté de quelques souscriptions princières. Le mouvement charitable n’a pas été limité, comme on l’a cru peut-être hors d’Angleterre, aux classes les plus riches, à ce qu’on appelle l’aristocratie; chacun au contraire y a participé selon ses moyens, non-seulement de sa bourse, mais en y consacrant son temps et son intelligence. C’est à cette unanimité que sont dus ces beaux résultats, car ce serait une grande