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vation du mal, il est consolant du moins de pouvoir dire que la tenue morale des populations souffrantes est empreinte de cette dignité résignée qui commande l’admiration au même degré que la sympathie. Cette attitude de nos ouvriers cotonniers dans une telle épreuve fait ressortir aujourd’hui les progrès latens qui se sont accomplis au soin de nos classes laborieuses. Il sera bon d’étudier de près un jour en leur honneur les causes de ces remarquables progrès. Un de nos correspondans, qui vit au cœur des ouvriers de la fabrique normande, pense, et nous partageons volontiers son opinion, que les sociétés de secours mutuels ont eu la plus large part dans l’élévation du niveau moral des ouvriers des filatures. C’est là que s’est développé parmi eux l’esprit d’association, de mutualité, de solidarité. On a appris dans ces sociétés d’égaux, où la situation de chacun réagit sur celle des autres, à réfléchir, à sentir, à prévoir, à combiner et à discerner des intérêts complexes. Ne sont-ce pas là les véritables élémens de l’éducation politique ? « J’ai pu constater maintes fois, nous écrit-on, que les plus intelligens de nos hommes, les plus sensés, faisaient toujours partie de sociétés de secours mutuels, surtout de celles qui agissent et fonctionnent sans tutelle, qui font leur œuvre elle-même sans immixtion de l’autorité, sans direction officieuse des congrégations religieuses. Tous ces hommes ont compris que la crise actuelle est dominée par une cause supérieure contre laquelle notre volonté est impuissante. Bien plus, ils ont compris que cette crise ne donne à personne le droit d’intervenir dans le conflit américain. Ceci, je puis vous l’affirmer. »

Contraste curieux ! animé, nous en sommes convaincus, par une sincère sollicitude pour les ouvriers de nos filatures, notre gouvernement témoigne d’une impatience singulière envers la guerre civile des États-Unis. N’ayant pu rallier l’Angleterre ni la Russie à sa première idée de médiation, il revient seul sur le terrain américain, proposant au gouvernement de Washington d’ouvrir des négociations avec les sécessionistes sans que les hostilités soient interrompues. Nous ne pensons pas que notre gouvernement ait tenté cette nouvelle démarche sans y avoir été encouragé par quelque espoir de succès dont la correspondance de notre ministre à Washington lui aura fourni de plausibles motifs. Malgré tout, cette démarche n’en a pas moins un caractère favorable à la cause du sud. Nous ne croyons pas nécessaire de reproduire pour le démontrer les argumens dont nous nous sommes servis pour signaler une tendance semblable dans le premier projet de médiation. Si par hasard les dispositions connues du gouvernement de Washington n’avaient point autorisé le nouvel essai, tout cela prendrait un air d’insistance qui devrait mécontenter le nord et enfler les espérances du sud. Eh bien ! voilà où est le contraste singulier que nous voulions mettre en lumière : tandis que notre gouvernement manifeste non dans son langage, mais dans la signification de ses actes, une certaine partialité pour le sud, dans la pensée très louable en elle-même de procurer