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le plus tôt possible les élémens du travail à nos ouvriers, l’attitude de ceux-ci est bien différente. Si la question leur était soumise, si on leur demandait : « Que préférez-vous ? le triomphe du sud et le retour du coton avec le maintien de l’esclavage des noirs, ou bien l’émancipation des esclaves avec la continuation du chômage et de ses misères ? » nous sommes certains qu’ils répondraient : « Plutôt mille fois pour nous la misère que d’acheter le bien-être au prix du maintien de la servitude de quatre millions d’âmes ! » Un ministre protestant, ces jours derniers, a eu la pensée touchante de rapprocher ainsi l’esclavage américain du chômage européen. Il a montré nos milliers d’ouvriers payant en réalité de leurs privations la rançon des noirs d’Amérique. Solidarité grandiose et tragique qui double nos devoirs envers les victimes de la crise, mais que la conscience des ouvriers français accepterait héroïquement, si elle lui était proposée !

C’est un des grands caractères de notre peuple que son dévouement à l’émancipation des autres peuples. M. Thouvenel a bien été dans ce sentiment lorsque l’autre jour, au sénat, il montrait l’indépendance de l’Italie protégée par les ombres de trente mille soldats français tombés sur les champs de bataille de 1859. Nous n’aurions guère qualité pour résoudre la délicate question constitutionnelle soulevée par M. Thouvenel. On avait accusé l’ancien ministre, et cela dans le journal d’un de ses collègues au sénat, M. de La Guéronnière, d’avoir fait dévier la politique de l’empereur. En repoussant ce blâme, M. Thouvenel a encouru de la part de quelques fervens le reproche d’avoir découvert la personne du souverain. Il nous semble qu’en maintenant que, jusqu’au moment où il a quitté le ministère, il a été l’interprète exact et fidèle de la politique impériale, M. Thouvenel avait l’intelligence vraie de la constitution aussi bien que le sentiment délicat de son honneur. Comment des théoriciens de la constitution actuelle invoqueraient-ils l’ancienne fiction qui protégeait la couronne par la responsabilité des ministres ? N’avons-nous pas changé tout cela avec ostentation ? N’est-ce pas aujourd’hui le souverain qui est responsable et qui couvre ses ministres tant qu’il les conserve dans ses conseils ? La politique de la France envers l’Italie n’a donc pas pu dévier tant qu’elle est restée aux mains de M. Thouvenel. S’il y a eu changement de politique, comme s’en vantent les adversaires de l’Italie, ce n’est point du fait de l’ancien ministre. Au surplus ce débat, s’il n’intéressait point la consistance d’un remarquable homme d’état, aurait bien peu d’importance auprès de la situation de l’Italie elle-même. Le parlement italien est réuni, et le ministre des finances, M. Minglietti, l’engage avec raison à aller au plus pressé, c’est-à-dire à résoudre la question financière. Il s’agit avant tout de voter le budget. L’Italie en effet, personne ne l’ignore, est obligée de faire prochainement un grand appel au crédit. L’établissement d’un état financier régulier par la fixation d’un budget ramené près de l’équilibre au moyen de réductions de dépenses et d’augmentations d’impôts est le préalable né-