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la personne qui doit être payée. Remuer l’or à la pelle n’est d’ailleurs point de la part de ces banques une vaine ostentation, car beaucoup d’entre elles sont énormément riches ; vers 1858, le montant des dépôts dans les joint stock-banks s’élevait au-delà de 44 millions de livres sterling ; il y avait en outre cinquante autres banques, dont quelques-unes embrassaient un rayon d’affaires très étendu. Ce n’est pas seulement à Londres qu’on rencontre ces établissemens : il n’y a guère de villes ni même de villages d’Angleterre où il n’y ait au moins une banque. Quelques-unes de ces banques provinciales affectent aujourd’hui des airs de luxe et de somptuosité ; mais les plus anciennes ont longtemps prospéré dans d’obscurs réduits. Comme je visitais en 1859 une ville industrielle de l’ouest, on me montra dans une rue sale et étroite une petite boutique d’épicier dont les vitres ternes, la devanture délabrée et l’étalage mesquin annonçaient un commerce à l’état de détresse ; c’était pourtant là, dans l’arrière-boutique, derrière des pains de sucre et des fromages de Chester, que se tenait une des banques les plus importantes du comté. Le banquier lui-même était un petit homme en culottes courtes, avec des bas mouchetés, un habit gris râpé et une vieille perruque blonde sur la tête.

L’immense développement des banques est sorti en Angleterre du principe de la division du travail. Tout homme enrichi par les arts, l’industrie ou le commerce trouve un avantage et une économie de temps à confier une partie de son capital à d’autres hommes qui ont fait de la science de l’argent une étude et une pratique. Ce principe a été fortifié dans toute la Grande-Bretagne par l’usage, quelquefois même par des raisons de convenance sociale. Payer en argent, cela n’est pas de bon ton. Un boutiquier anglais auquel on demandait un jour quelle était la différence entre un homme et un gentleman répondit sans hésiter : « Un homme est celui qui vient acheter mes marchandises et qui paie argent comptant ; le gentleman est celui auquel je fais crédit et qui me règle tous les six mois par un bon à toucher chez son banquier (cheque). » Dieu me garde de trouver que cette définition embrasse tous les rapports de la vie ; mais il faut en tenir compte au point de vue qui nous occupe : avoir un banquier est un signe de respectabilité. Les gens les plus riches ne gardent presque jamais d’argent chez eux que pour leurs besoins immédiats : ils ont un calepin dont ils détachent une page toutes les fois qu’ils veulent faire un paiement ; sur cette page chargée de caractères imprimés, portant le nom du banquier et la formule ordinaire d’un bon à vue, ils écrivent leur signature et le montant de la somme qui devra être comptée en or. Mais c’est surtout au point de vue du commerce que les banques rendent des services très importans.