Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 43.djvu/892

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en faisant refluer vers le point de départ une partie des richesses récemment créées, et elle augmente à la fois le capital et le revenu de la nation.

Ainsi, considérée au point de vue économique, la colonisation ne cause aucun préjudice à la fortune d’un état, et l’on peut ajouter que pour les grandes nations européennes elle est devenue une nécessité de premier ordre. Elle est la conséquence de l’immense mouvement industriel qui depuis 1815 a décuplé le travail des manufactures. Il faut à tout prix accroître les approvisionnemens de matières premières et créer des débouchés pour les produits. Les colonies répondent à ce double besoin en activant sur tous les points du globe les progrès de la culture, de la consommation et des échanges. D’un autre côté, si l’on considère le point de vue politique, il est évident qu’avec les colonies les horizons de la vieille Europe se sont singulièrement agrandis. Les questions de prépondérance, les luttes d’influence, se sont transportées au loin. En Asie, en Amérique, la race saxonne et la race latine, représentées l’une et l’autre par de nombreux colons, sont en présence et aux prises. Elles s’y disputent le sol aussi ardemment qu’elles le font en Europe, le sol non pas seulement comme instrument de richesse, mais encore comme signe de puissance, car les nations, aussi bien que les hommes, ont la passion quelquefois vaniteuse de la propriété territoriale. Politiquement et commercialement, l’Europe étouffe aujourd’hui dans ses étroites limites; elle veut du champ et de l’espace, et elle s’empare peu à peu du monde entier. Heureux et habiles les peuples qui ont su prendre et savent garder les devans dans cette concurrence qui s’organise sur toute la surface de la terre! l’avenir leur appartient. Quoi que puissent dire les adversaires de la colonisation, il viendra un temps où la nation qui n’aura point son établissement, sa colonie, en Asie et en Amérique, sera une nation incomplète. Tous les peuples de l’Europe ne sont pas également bien placés pour conquérir ce complément de puissance; mais ceux qui ont des manufactures florissantes et une marine ne sauraient, sans risquer la déchéance, abdiquer l’ambition coloniale. Chose singulière! c’est dans le pays qui doit à l’étendue et à la multiplicité de ses possessions la plus grande partie de sa prospérité et de sa grandeur, c’est en Angleterre que des théoriciens, se prétendant gens pratiques et économes, ont jeté le premier cri : Plus de colonies! Invoquant à faux quelques doctrines éparses dans les écrits d’Adam Smith, ils ne considéraient que les frais de premier établissement, les dépenses militaires et administratives, les embarras secondaires attachés à la garde de ces possessions, où ils se figuraient que l’Angleterre n’avait pas besoin d’être maîtresse du sol pour y