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asseoir sa suprématie commerciale et son influence politique. — A quoi bon, ajoutaient-ils, sacrifier un si lourd capital pour créer des colonies qui échapperont un jour à la souveraineté de la métropole, pour élever des enfans qui, arrivés à l’âge adulte, auront la volonté et la force de s’émanciper? — Ces paradoxes n’ont reçu qu’un médiocre accueil. Pour toute réponse, le gouvernement et la nation s’emparent à l’occasion de toute terre nouvelle qui leur promet une extension de domaine et un marché. L’Angleterre n’ignore pas ce que lui coûte une colonie, mais elle sait aussi ce qu’elle en retire. Elle pressent que la colonie pourra un jour s’émanciper, mais elle ne s’en effraie pas, et s’y résigne. Son intérêt comme son orgueil se consoleront de voir s’élever successivement à la dignité d’états libres des contrées qui, après avoir rompu le lien de la dépendance politique, conserveront l’empreinte de son génie et demeureront sous la dépendance de son commerce. C’est là, sinon le but, du moins la récompense de la colonisation intelligente et libérale, telle qu’on doit la pratiquer de notre temps; c’est ce qui donne aux colonies modernes un caractère et un aspect nouveaux, qui ouvrent à la civilisation les plus larges perspectives: c’est enfin sous l’inspiration de ces principes d’égalité et de liberté que les métropoles règlent non plus seulement l’étendue de leurs droits, mais encore et surtout l’étendue de leurs devoirs à l’égard de leurs possessions. Voilà comment le régime colonial s’est peu à peu transformé en profitant du progrès général des doctrines politiques et économiques, et comment ont été successivement découvertes et appliquées les combinaisons les plus propres à développer la prospérité des colonies en même temps que celle des métropoles.


II.

Il y a, dans le langage usuel, plusieurs sortes de colonies; tantôt ce sont des stations militaires et maritimes, une île postée au milieu de l’Océan, un port qui commande un détroit, par exemple Sainte-Hélène, Malte, Gibraltar, Aden; tantôt des comptoirs où s’élèvent, sous la protection d’un drapeau européen et de quelques canons, des factoreries plus ou moins nombreuses qui entretiennent avec l’intérieur d’un continent ou d’une grande île des relations de commerce : tels sont les établissemens de la côte d’Afrique et de Bornéo; tantôt enfin des territoires tout entiers, que la Providence semble avoir pendant des siècles tenus en réserve pour les livrer un jour, avec leur sol vierge et leurs richesses inexplorées, à la domination de l’ancien monde : ce sont les deux Amériques, l’Inde, la Malaisie, l’Australie, dont les plus puissantes nations de l’Europe se sont partagé et disputé la découverte ou la conquête.