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tinction capitale à faire, La foi, en elle-même, est un sentiment : elle croit ce qui ne peut se démontrer, elle aime ce qui ne peut se voir, elle aspire à ce qui ne saurait être atteint. Comme sentiment, elle est ce qu’elle est, et, n’ayant pas besoin de preuves, elle n’est pas non plus susceptible de réfutation. C’est ainsi, dans cette pureté native et sublime, qu’elle s’est produite dans l’Évangile. « Ce qui fait l’essence de la religion chrétienne, a dit Mme de Staël, c’est l’accord de nos sentimens intimes avec les paroles de Jésus-Christ. » L’enseignement du grand prophète de Nazareth s’adresse toujours et tout droit à la conscience humaine; il y porte d’aplomb; il ne lui demande rien qu’il ne soit sûr d’en obtenir, il ne lui dit pas un mot qui n’y trouve un écho. Il n’y a rien d’arbitraire, rien d’adventice dans cette limpide doctrine; mais son élévation même en compromettait l’efficacité, et il semble que les hommes aient été obligés de la rabaisser pour l’accommoder à leur usage. Elle était tout esprit, ils lui ont donné un corps ; métal pur, ils y ont mêlé leur alliage. Au christianisme du Christ succède celui des apôtres, à celui des apôtres celui des pères, celui des conciles, celui des scolastiques. En vérité, c’est à n’y plus rien reconnaître. Au lieu des simples et profondes sentences du Galiléen, nous avons eu un mélange bizarre de dogmes abstraits et de mythologie saugrenue, une combinaison bâtarde de propositions métaphysiques et de faits légendaires. C’est ainsi que la foi religieuse est devenue croyance dogmatique, en d’autres termes qu’un élément de science et de spéculation s’est mêlé à ce qui n’était d’abord qu’élan et adoration; mais la science est l’objet légitime de l’examen : une histoire, fût-elle sacrée, tombe nécessairement sous la critique; une ontologie, fût-elle sanctionnée par des conciles, est soumise aux lois de la raison humaine. La religion ne pouvait devenir une science sans partager le sort de toutes les sciences, sans être tenue de présenter ses preuves et de satisfaire aux besoins de la pensée. On comprend maintenant comment il est arrivé que l’esprit moderne, avec ses instrumens plus aiguisés, ses méthodes plus rigoureuses, ait découvert l’insuffisance d’une foule d’argumens dont se contentaient nos pères, et on comprend aussi comment la bonne foi du chrétien le plus orthodoxe, du penseur le plus religieux, le jette parfois dans la plus cruelle hésitation entre des doctrines qu’il a appris à confondre avec la religion et des découvertes scientifiques qui ne lui permettent plus de considérer ces doctrines comme vraies.

C’est ici que s’élève une question dont il est impossible d’exagérer la gravité, et sur laquelle je voudrais appeler les méditations des hommes sérieux. Nous avons distingué la religion de la théologie, ou, ce qui revient à peu près au même, la foi de la croyance;