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nous avons même vu la religion briser la croyance comme une enveloppe devenue trop étroite, comme une forme qui ne répond plus au principe dont elle était jadis l’expression. Est-ce à dire que la religion puisse se passer d’une forme et d’un corps? La religion ramenée à son essence, réduite à ses élémens mystiques, débarrassée de toute théologie, cette religion est-elle possible? L’alliage qui semble en diminuer la beauté n’en fait-il pas en même temps la force? Les masses ne sont-elles pas trop peu spirituelles pour le culte du pur esprit? En détruisant ce que nous appelons des superstitions, ne risquons-nous pas de détruire quelques-unes des fibres par lesquelles la piété jette racine dans l’âme? Je vais plus loin, et je me demande s’il n’est pas nécessaire que la religion se mêle à toutes les pensées de l’homme, s’il n’est pas de sa nature de pénétrer les sciences, les arts, la vie tout entière, si l’idée même de la religion n’implique pas qu’au lieu de rester isolée dans quelque recoin de notre être, réservée aux heures de la contemplation ou de l’abattement, elle doit devenir comme le levain qui fait lever toute la pâte, comme le principe de toute l’existence pour l’individu, de toute la civilisation pour la société. S’il en est ainsi, l’énergie en vertu de laquelle le christianisme s’est jadis incarné dans la société serait inséparable du sentiment religieux, et si aujourd’hui les progrès des idées ont emporté l’ancienne civilisation et l’ancienne croyance, on pourrait admettre que le principe de cette civilisation n’a pas nécessairement péri pour cela, qu’il saura s’accommoder à un ordre de choses plus vaste, à une science plus sévère, à une morale plus généreuse, et qu’il finira par créer une église où il y aura place pour les Jowett et les Colenso.


EDMOND SCHERER.