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mière fois en 1831, la France, au lendemain d’une révolution, se trouvait entre le trouble des rues et le danger frappant, imminent, des coalitions extérieures. Sa politique, comme le remarque M. de Montalembert, c’était la liberté au dedans et la paix au dehors. Et cependant elle tentait une médiation à laquelle se refusait l’Angleterre. Aujourd’hui la même question se réveille avec des dangers de moins, avec un caractère plus pressant encore et au milieu d’une Europe mieux préparée à saluer tout ce qui peut être tenté pour empêcher un peuple de périr dans des flots de sang.

Certes nul ne peut se hasarder à dire qu’il soit facile de tracer le plan d’une intervention diplomatique, de fixer le degré, la mesure d’une action, de préciser les termes d’une solution, de combiner tant d’intérêts divers et complexes, sans compter la paix; mais ce qui est plus difficile encore, c’est de. maintenir ce qui a existé jusqu’ici et ce qui a conduit à une explosion où tous les intérêts libéraux sont dans le camp d’un peuple en insurrection. La politique de compression, on peut le dire, est épuisée : tout ce qu’elle pouvait faire, elle l’a fait, et elle n’a point réussi; elle s’est usée dans cette œuvre impossible de l’anéantissement moral et politique d’une nation. La langue, on lui a fait la guerre, on l’a bannie de l’enseignement en l’assimilant tout au plus à une langue étrangère. Les institutions, on les a supprimées et viciées par l’invasion d’un arbitraire universel. L’instruction publique, on l’a systématiquement amoindrie et réduite à des connaissances usuelles et techniques. La religion, on l’a poursuivie; on a envahi ses temples, exilé ses ministres, on a poussé par la force dans l’orthodoxie russe des milliers de paysans ruthènes. On a tout mis en œuvre pour atteindre ce peuple dans tout ce qui fait son existence publique; on ne lui a laissé que son âme, et dans un mouvement suprême il la rejette à la face des dominateurs, douloureuse, meurtrie, mais toujours vivante, et devant ce spectacle, si difficile que soit une solution, qui peut dire que ce ne soit pas un devoir pour l’Europe de la chercher, de la trouver, pour que la justice et le droit d’un peuple ne soient pas de vains mots en ce monde et dans ce siècle?


CHARLES DE MAZADE.