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peuvent mourir, mais les autres en vivent. On dit qu’une malversation célèbre a porté une grave atteinte au gouvernement de 1830 : on peut assurément concevoir des gouvernemens d’un tempérament moins délicat et qui ne souffrent pas pour si peu ; mais voici ce qui trompe ceux qui ont-envie d’être trompés. Les pays libres disent ou plutôt laissent dire beaucoup de mal d’eux-mêmes. Ailleurs c’est différent ; la morale est plus discrète, elle ne se permet même pas ce qui se tolérait sous Louis XIV. Qui parlerait des cours ainsi qu’on en parlait de son temps serait mal reçu. Un prédicateur qui répéterait Massillon passerait pour socialiste. Voir le mal sans mot dire s’appelle restaurer le respect. Dans les pays où domine l’absolutisme moderne, il persuade ce qu’il veut. La dissimulation dont il sait user, le silence qu’il impose, le mensonge que tout lui rend facile sont des moyens de succès dont l’histoire atteste la puissance, et le monde n’est désabusé de rien. Quel est le préjugé si grossier, l’abus si scandaleux, l’imposture si effrontée que la force et l’adulation ne puissent parvenir à réhabiliter ? Quelle absurdité mille fois dévoilée qu’on ne puisse un temps remettre en honneur ? Les publicistes qui se prononcent pour le despotisme ne vantent point une chimère. Leur utopie est des plus praticables ; elle ne rencontre que des obstacles dont on est toujours maître de se débarrasser, car ils s’appellent des scrupules. Une fois bien établie, elle se donne les apparences qu’elle veut. Rien de plus facile que de soutenir aux hommes que ce qui est n’existe pas. Ils ne demandent pas mieux que d’ignorer et de croire. Ils ignorent les abus du despotisme parce qu’il les cache, et croient à ceux de la liberté parce qu’elle les divulgue. Incapable en effet de dissimulation, elle se montre telle qu’elle est. Elle ne jette aucun voile sur ses agitations ni sur ses périls ; pas une crainte, pas un blâme, pas une faute qu’elle ne publie. Bien plus, elle se diffame elle-même. Cette voix qui retentit sur la place publique ne trouve jamais d’accent assez fort pour dénoncer le mal que soupçonne la défiance ou suppose l’inimitié. La presse est comme le théâtre, déclamatoire, exagératrice, tout le monde le sait ; mais les habiles se prévalent de ses hyperboles pour persuader aux bonnes gens que la liberté est sœur de la corruption. Le vrai, c’est que ce qui est de droit commun sous un régime d’arbitraire devient abus dans un régime de liberté. Est-ce dans les pays libres exclusivement que la faveur décore la médiocrité, enrichit la platitude ? Est-ce dans les pays libres que le puissant trafique de son crédit, vend son influence, fait ses affaires aux dépens du public et déshonore l’état par la contagion de son exemple et le scandale de sa fortune ? Il est triste d’avoir à dire des choses si claires ; mais tout est à redire, et, même parmi nous, des préjugés divers et récens ont obscurci les vérités les plus simples. Et cependant la probité reconnaîtrait aisément