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qu’il existe entre elle et la liberté une sympathie naturelle, et la redemanderait, à voix haute, sans je ne sais quelle faiblesse qu’il en coûte de nommer. Le dirai-je au peuple dont les combats sont l’admiration de toutes les armées ? Il a peur de la liberté ! la France s’est laissé dire cette injure que la liberté n’était pas faite pour elle. Elle souffre ce langage à se faire soupçonner d’y croire !

Ainsi, après des lois qui assureraient inviolablement la liberté individuelle et la liberté de la presse, la première chose à réclamer aujourd’hui dans les formes constitutionnelles, et comme le couronnement de l’édifice, ce serait la responsabilité du pouvoir. Ce ne serait pas moins que la liberté politique. Il reste à voir comment celle-ci est conciliable avec la démocratie.

Nous semblons en effet nous être écarté de la question de la démocratie. Nous en sommes moins loin qu’il ne le paraît. La liberté, telle qu’elle vient d’être définie, ouvre devant une nation armée de tous les droits civiques un concours où le pouvoir est disputé. Dans l’arène constitutionnelle, toutes les opinions, toutes les ambitions, toutes les passions, sont appelées à se mesurer. Leur lutte est violente ; c’est dans une chambre ou deux le bruit et la discorde de l’Agora ou du Forum, et ce spectacle émouvant, excitant, est porté par la presse sous les yeux d’une démocratie immense, qui peut manquer de lumières, de sang-froid, de jugement. Ni l’habitude, ni la réflexion, ni la connaissance des vérités de l’histoire ou des conditions de l’ordre social ne la préparent à traverser sans se troubler, sans s’échauffer, sans entrer en courroux, cette redoutable épreuve. Si elle est tenue rigoureusement en dehors de la sphère politique, si elle n’a rien à faire au débat que de le lire (quand elle peut le lire), que pensera-t-elle de ces luttes si vives où ses destinées sont engagées sans qu’elle y soit pour rien ? Comment prendra-t-elle le bruyant témoignage de cette classe plus riche à qui seule est réservée la vie publique ; et qui ne lui parlé à la tribune que des périls de l’état, du déclin de la puissance ou de la fortune nationale, des trahisons du pouvoir, des perfidies de l’opposition, des crimes des ambitieux de tous les partis ? Ne pourra-t-elle pas se croire la dupe ou le jouet de ses hommes d’état, se croire oubliée, abandonnée, trahie à son tour, et, dans sa colère aveugle, ne forcera-t-elle pas les barrières de la constitution pour faire irruption dans l’enceinte où d’autres passions que les siennes lui paraîtront se jouer de ses intérêts et de ses droits ? Là est, je n’en doute point, le danger principal, le danger peut-être unique de l’établissement d’une franche liberté politique au sein d’une grande société moderne, animée de l’esprit d’égalité, constituée sur le principe de l’égalité. C’est là que je place cette question de la démocratie, dont on parle tant en s’occupant si peu de la résoudre.