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comment l’artiste s’y est pris pour être dupe de l’illusion qu’il a voulu produire, ou plutôt on lui accorde ce qu’il semble avoir eu seulement à cœur d’obtenir, une confiance superficielle comme son habileté même, une attention rapide comme le travail de sa pensée.

Au temps où il peignait les batailles de Jemmapes, de Valmy de Hanau et de Montmirail, Horace Vernet avait probablement des ambitions plus hautes, une opinion plus sérieuse de l’art et de sa fonction. En tout cas, l’impression qu’on éprouve en face de ces quatre toiles ne s’arrête pas aux surfaces de l’esprit, l’estime qu’inspire ici l’habileté de la pratique n’est pas seulement une réponse à des provocations adroites, à une sorte de calligraphie pittoresque; c’est la récompense légitime et réfléchie d’un talent qui, tout en gardant ses coudées franches, ne s’étale pas pour le plaisir de s’imposer et de faire montre de lui-même. Dans la Bataille de Montmirail surtout, l’aisance avec laquelle les détails multiples sont indiqués n’usurpe ni ne contrarie l’attention due à l’effet général, à la signification dramatique de l’ensemble. Le moment choisi est celui où les chasseurs de la vieille garde, sous les ordres du maréchal Lefebvre, se précipitent sur l’ennemi et décident par cet effort suprême le gain de la journée. L’horizon que les ombres du crépuscule ont déjà envahi, les restes d’une lueur blafarde qu’un triste soleil d’hiver, à demi caché derrière les nuages, répand sur la campagne et sur les derniers bataillons qui la couvrent, tout, — jusqu’à cette croix que les balles des deux armées ont ébranlée sur sa base, jusqu’à cet arbre effeuillé dont les branches semblent s’agiter douloureusement sous les sifflemens du vent et de la mitraille, — tout a une solennité mélancolique, une expression de grandeur sinistre conforme au caractère historique de la scène. C’est l’image d’une victoire encore, mais d’une victoire sans fête, d’une gloire sans ivresse, d’un triomphe sans lendemain. La joie est absenta de tous ces cœurs héroïques qu’habitent seulement les souvenirs de la patrie outragée, comme la lumière radieuse manque au théâtre de la lutte, comme le soleil d’Austerlitz est absent du ciel de Montmirail.

Si jamais Horace Vernet s’est élevé, dans la représentation d’une action militaire, jusqu’au style poétique par la justesse même de son coup d’œil, par la sincérité des émotions qu’il traduit, si, contre les coutumes de son imagination plutôt active qu’étendue, il a réussi à embrasser et à rendre les conditions morales en même temps que les dehors d’un sujet, nul doute que la Bataille de Montmirail ne marque dans la vie du peintre ce moment privilégié, cette heure d’inspiration exceptionnelle. Aussi le tableau dont nous parlons nous semble-t-il promis à une célébrité durable. On pourra y constater