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des projets qu’il importait de discuter. On ne peut toujours se mettre suffisamment en garde contre les entraînemens de la géographie. Sous cette influence, on arrive, comme le lecteur a pu le voir, à ne plus compter les kilomètres que par centaines ou par milliers ; on se préoccupe à peine des profondeurs de la mer, si importantes pour les lignes sous-marines, et des obstacles physiques, fleuves et montagnes, si redoutables pour les lignes terrestres. En y réfléchissant bien, l’homme n’est-il pas trop présomptueux quand il se propose d’étendre à la surface de la terre un fil qui restera muet, si les nations en guerre et les élémens ne le respectent ? Au sein de l’Europe civilisée, n’a-t-il pas suffi, il y a quelques mois à peine, d’une insurrection dans les Calabres pour interrompre les communications avec l’Italie méridionale, d’une tempête dans la Méditerranée pour isoler de nous l’Algérie ? La modération dans les projets et l’étude approfondie des lignes les plus urgentes serviront plus les intérêts de la télégraphie qu’une revue à vol d’oiseau des contrées qu’elle doit desservir. À ce titre, il convient d’arrêter encore notre attention sur les divers projets mis en avant pour réunir l’Europe et l’Amérique. Aucune communication n’est assurément plus importante, ni plus digne de préoccuper l’opinion publique. Chacun des tracés proposés offre, on le sait, des avantages spéciaux ; il a aussi des inconvéniens qui lui sont propres. On peut dire que chacun de ces tracés convient plus particulièrement à l’un des peuples formant le groupe qui s’en est occupé, la ligne de la Sibérie et des Aléoutiennes aux Russes, la ligne directe et celle de l’Atlantique nord aux Anglais. La France doit préférer la route des Açores ou du Brésil, et ses intérêts sont communs au Portugal et à l’Espagne.

Si nous laissons de côté les considérations politiques qui dictent ces préférences pour nous laisser guider par des motifs purement scientifiques, nous sommes arrêtés par l’imperfection de nos connaissances en orographie sous-marine. Nous ne sommes pas mieux renseignés sur le relief du sol de l’Océan que ne le serait un voyageur qui, traversant l’Europe en ballon au-dessus des nuages, ne verrait rien de la terre, et de temps en temps, à des intervalles de 30 ou 40 kilomètres, laisserait descendre un plomb de sonde. Ce voyageur pourrait passer au-dessus de la chaîne des Vosges sans en soupçonner l’existence ; la France ne serait pour lui qu’un plateau sans ondulation appréciable. Puisque l’observation directe, par les sondages, n’a fourni jusqu’à ce jour que des renseignemens insuffisans ou incomplets, la géologie ne pourrait-elle donner, par induction, •quelques résultats plus précis ?

Examinons donc le terrain que nous avons sous les yeux. Les montagnes terrestres s’élèvent presque toujours en pente douce depuis